Pierre et le loup : le conte musical qui célèbre le génie des enfants
Par Alexandra JamesÀ travers "Pierre et le loup", Sergueï Prokofiev s’adresse directement aux enfants en leur faisant découvrir les instruments de l’orchestre. Une œuvre pédagogique qui met en avant l’intelligence de la jeune génération.
Quelques notes de violons suffisent à nous replonger en enfance. Lorsque l’on entend Pierre et le loup de Sergueï Prokofiev - et plus particulièrement le thème principal de Pierre, difficile de ne pas s’imaginer l’enfant désobéissant qui gambade dans la forêt. En 1936, Prokofiev exécute un chef d’œuvre musical et pédagogique.
Alors qu’il décide de revenir en URSS après plusieurs années passées à l’étranger, le Théâtre central pour enfants de Moscou lui commande un conte musical pour faire découvrir l’orchestre aux enfants. « Prokofiev avait déjà composé des œuvres pour enfants et était lui-même père et donc, on peut se dire qu'il y a une symétrie entre ce qu'il vivait comme père et le conte qu’il imagine à ce moment-là », expose Charlotte Ginot-Slacik, musicologue et directrice de l'Orchestre Français des Jeunes.
Un instrument pour chaque personnage
Pour cela, le compositeur russe choisit la forme du conte symphonique avec sur scène, auprès de l’orchestre, un narrateur. L’histoire, « c’est le cauchemar des parents », ironise Charlotte Ginot-Slacik : « un petit garçon désobéissant qui s'appelle Pierre décide de ne pas écouter son grand-père qui lui a dit qu'il y avait des loups dans la forêt ». Bravant l’interdit, Pierre fait preuve de bravoure et s’en va capturer le loup avant que celui-ci n’attaque d’autres animaux. Lorsque les chasseurs arrivent après coup pour tuer le loup, Pierre suggère alors de le donner au jardin zoologique.
À travers ce conte enfantin, le public découvre un instrument associé à chaque personnage. « Pierre, c'est les violons qui ont un rythme sautillant et on imagine très bien le petit garçon qui gambade et qui n'écoute rien de ce que les adultes lui disent. En revanche avec le basson, on imagine beaucoup plus le grand-père avec sa canne et un rythme irrégulier et sévère. » Le canard est, quant à lui, incarné par le hautbois, lent et mélancolique ; l’oiseau par la flûte légère et joyeuse et les chasseurs par les timbales grondants.
Pour incarner le loup, les cors résonnent à l’unisson comme une menace sortant du fond des bois. « Même si on n’en a pas conscience, le son du cor fait souvent allusion à l’univers de la forêt. C’est quelque chose que l’on trouve beaucoup dans l’opéra du XIXème siècle, comme chez Wagner. Cet instrument renvoie à la fois à l’univers de la chasse, mais aussi à l’univers du lointain et du profond. C’est absolument génial d’avoir associé le cor au loup qui devient une menace lointaine. »
La jeunesse face à la vieillesse
Un procédé pédagogique simple qui entrecroise progressivement les instruments à mesure que les personnages se rencontrent. A la fin, ce sont tous les instruments de l’orchestre qui jouent ensemble dans la grande marche triomphante pour emmener le loup capturé.
Derrière l’histoire de Pierre et le loup, se cachent plusieurs niveaux de lecture. Parmi lesquels, l’affrontement entre la jeunesse et la vieillesse : « Pierre, c’est les forces du progrès, comme lorsqu’il suggère une solution à laquelle personne n’avait pensé en proposant d’amener le loup au zoo plutôt que le tuer. Tandis que le grand-père et les chasseurs incarnent les forces réactionnaires en interdisant à l’enfant de s’aventurer dans la forêt. »
Pour Charlotte Ginot-Slacik, Pierre et le loup reste une référence de pédagogie musicale, encore aujourd’hui. « Est-ce que les enfants d’aujourd’hui sont moins désobéissants que les enfants d’hier ? Evidemment que Pierre et le loup reste une référence. Ça reste une référence parce que c’est une ode assez incroyable à l'intelligence des enfants. En cela, c’est une œuvre qui s’adresse aux enfants d’aujourd’hui et, soyons optimistes, aux enfants de demain. »