De l'alignement des planètes londoniennes au mirage berlinois de Mahagonny

Gustav Holst
Gustav Holst ©Getty
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Traversée de l’Europe à toute vapeur, des roaring twenties à Londres aux Goldene Jahre à Berlin en faisant un détour par Athènes, Vienne et Salzbourg.

Gustav Holst enseigne alors à l’école pour filles de Saint-Paul, dans le quartier populaire de Londres, à Hammersmith. Le compositeur s’attelle depuis le début de la guerre à l’écriture de 7 tableaux, chacun représentant une planète : Mars, Vénus, Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Il cherche à présent un orchestre et un public pour jouer cette composition ambitieuse, basée sur sa tocade pour l’astrologie. 

En attendant que cette oeuvre soit créée, Holst veut participer à l’effort de guerre et se porte volontaire pour rejoindre la section musicale du département d'éducation du Young Men’s Christian Association (YMCA), qui cherche des candidats pour travailler avec les troupes britanniques stationnées en Europe et attendent la démobilisation. La candidature de Holst est retenue et il part pour la base de YMCA à Thessalonique, en Grèce.

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Berlin. S’il fallait définir d’un mot la culture berlinoise des années 20 ce serait la modernité. Les avant-gardisme, le surréalisme, le dadaïsme, prospèrent. La culture de masse triomphe également. Berlin compte pas moins de 40 théâtres.

Le grand metteur en scène Max Reinhardt a ouvert une école d’art dramatique au Deutsches Theater, dans lequel beaucoup de jeunes talents font leurs premières armes, comme Ernst Lubitsch. 

C’est devant Max Reinhardt que Marlene Dietrich passe une audition. Elle aurait voulu être violoniste soliste, elle a pris des cours avec Carl Flesch, mais elle préfère finalement être comédienne, et présente au Deutsches Theater un extrait du poème de Hugo von Hofmannsthal, “Der Tor und der Tod”, le fou et la mort. Ce serait Max Reinhardt lui-même qui l’aurait recalé. A défaut du maître, Marlene prend des cours avec l’un de ses adjoints, Berthold Held. Ces cours lui ouvrent les portes de quelques premiers rôles. 

Le jeune Kurt Weill a débarqué de Dessau en 1918. Il est le fils d’un chantre de la synagogue locale, il fait partie de cette multitude de jeunes artistes et intellectuels qui, à la fin de la 1ere guerre mondiale, ont rejoint la métropole culturelle berlinoise. Kurt Weill s’inscrit au Conservatoire de Berlin, la Berlin Hochschule für Musik, là où enseigne Wanda Landowska. Kurt Weill suit les cours de composition de Ferruccio Busoni - musicien originaire d’Italie et établi à Berlin, pacifiste convaincu et considéré par ses étudiants comme le « dernier homme de la renaissance ». 

Busoni familiarise Kurt Weill avec les oeuvres de Schönberg et de Stravinsky. Busoni est surtout un ardent défenseur du lyrique, il écrit un livre « Sur les possibilités de l’opéra » en 1922, il déplore que cette forme musicale souffre d’un manque de considération par rapport au symphonique. La vie musicale berlinoise va embrasser cet amour pour l’opéra. Mais Busoni n’a pas le temps de voir triompher cette nouvelle esthétique : son opéra Doktor Faust est créé à titre posthume, à Dresde, le 21 mai 1925.

L’ouvrage qui ébranle les certitudes musicales berlinoises, c’est surtout celui d’un jeune autrichien, disciple d’Arnold Schönberg et adepte de la nouvelle école de Vienne : Alban Berg. Son premier opéra, Wozzeck, est donné le 14 décembre 1925 au StaatsOper de Berlin. Sa création est pour le moins laborieuse. 

L’ouvrage lyrique qui va marquer au fer rouge ces années berlinoises, c’est Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny, signé Kurt Weill et Bertold Brecht. Mais pour comprendre la déflagration qu’opère cette création, il faut d’abord s’attarder encore sur le contexte berlinois : ses cabarets, ses revues, et l’influence américaine. 

En 1926, Joséphine Baker arrive à Berlin. Celle qui a imposé une nouvelle esthétique à Paris, on en parlait la semaine dernière, suscite à Berlin des réactions de haine ou d’admiration. Aux yeux des nationalistes, elle est un facteur majeur du déclin de la culture germanique. Elle reste peu de temps à Berlin pendant cette tournée européenne, avant de s’installer à Paris. Malgré tout, l’artiste concentre sur elle tous les enjeux du débat sur la culture afro-américaine et le jazz. Sa féminité exacerbe d’autant plus les tensions. C’est d’ailleurs dans ce contexte que Sigmund Freud utilise en 1926 la fameuse expression de « Dark continent », le continent noir, pour caractériser la sexualité féminine.

En 1927, au StaatsOper, un saxophoniste noir devient le héros d’un opéra d’Ernst Krenek “Jonny spielt auf”, Jonny mène la danse : c’est une musique inspirée du jazz et écrite par un Allemand, le personnage de Jonny est noir de peau, et incarné par un acteur blanc grimmé en blackface. L'opéra rencontre un très grand succès lors de sa création et sera représenté plus de 400 fois sur 70 scènes d'Allemagne et d’Autriche jusqu’en 1930. George Gershwin assiste en 1928 à une représentation de “Jonny spielt auf”, à Vienne. Le choix d'un héros noir et la mise en valeur du jazz attirent les foudres des conservateurs et des nazis, avant même leur accession au pouvoir. 

Le rôle emblématique de Marlène Dietrich lui est offert par le cinéma. Elle est Lola-Lola dans le cabaret l’Ange Bleu, qui donne son nom au film de Josef von Sternberg. De la tête aux pieds, je suis faite pour l’amour, chante Dietrich, accompagnée d’un bigband berlinois, les Weintraub Syncopators, dirigés du piano par Friedrich Holländer. 

Vienne et sa nouvelle école, Schönberg, Berg et Webern, trois compositeurs qui ont fait table rase de la musique classique tonale, sont aussi dans le viseur du nazisme. A la fin des années 20, Schönberg compose “Moïse et Aaron”, où il met en scène le destin du peuple juif en Egypte. Par cette allégorie biblique, c’est à l’évidence l’emprise du nazisme que Schönberg pressent, et qu’il voit arriver depuis une décennie. 

Kurt Weill devra prendre le chemin de l’exil dès l’arrivée d’Adolf Hitler à la Chancellerie en janvier 1933… son oeuvre est visée par un autodafé en juin de cette année-là… Ernst Krenek figure lui aussi dans la liste des “Musique dégénérée” établie par les nazis. Max Reinhardt s’exile, Marlene Dietrich et Bertolt Brecht aussi.

Gustav Holst
Les Planètes (Jupiter - Neptune)
London Royal Philharmonic Orchestra
Direction : Mike Batt

P. Vaindirlis
Fionas Tha Gino
George Katsaros, chant

Meneleos Michailidis
Ksisou Gero
Antonis Dalgas, chant

Ivor Novello
Keep the Home Fires Burning
Steven Isserlis, violoncelle
Connie Shih, piano 

Gustav Holst
Sing me the Men op.43 n°2
Chœur de Chambre du Conservatoire de Birmingham
Nicholas Morris, orgue
Direction : Paul Spicer

Kurt Weill
Symphonie n°1 (extrait)
Orchestre Symphonique de Bournemouth
Direction : Marin Alsop

Paul Hindemith
Sabinchen (Mässig schnell)
Jeannette Oswald, soprano
Chœur et Orchestre de la Staatoperette de Dresde
Direction : Ernst Theis

Paul Hindemith
Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber (Andantino)
Orchestre Philharmonique de Berlin
Direction : Wilhelm Furtwängler

Kurt Weill
Royal Palace (Ballet – Film)
Orchestre Symphonique de la BBC
Direction : Andrew Davis

Ferruccio Busoni
Doktor Faust : Ihr Männer und Frauen lasst euch sagen (scène finale)
Richard Lewis, ténor
Ambrosian Singers
Chœur et Orchestre Philharmonique de Londres
Direction : Adrian Boult

Alban Berg
Wozzeck, suite pour orchestre : Ringel ringel rosenkranz (Acte III Sc 4 et 5)
Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam
Direction : Gerd Albrecht

Alban Berg
Wozzeck : Tanzt Alle ; tanzt nur zu (Acte III, scène 3)
Edwina Eustis, contralto
Mark Harrell, baryton
Orchestre Philharmonique de New York
High School of Music and Art Chorus
Chœur de la Schola Cantorum
Direction : Dimitri Mitropoulos

Kurt Weill
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny : Wir wohnen in den Städten (Acte I)
Peter Markwort, ténor
Horst Gunter, baryton
Chœur du NDR de Hambourg
Orchestre sous la direction de Wilhelm Bruckner-Ruggberg

Ernst Krenek
Jonny spielt auf : einleitung
Chœur de l’Opéra de Leipzig
Ensemble Chinchilla
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Direction : Lothar Zagrosek

Ernst Krenek
Jonny spielt auf : oh, das ist mein Jonny !
Chœur de l’Opéra de Leipzig
Ensemble Chinchilla
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Direction : Lothar Zagrosek

Peter Kreuder
Sag bein abschied leise servus
Josephine Baker, chant
Orchestre sous la direction de Jo Bouillon

Frederick Hollander/ Reg Connelly
Nimm dich in acht vor blonden Frauen
Marlène Dietrich, chant
Weintraub Syncopators

Mischa Spoliansy
Es liegt in der luft
Marlène Dietrich, chant

Frederick Hollander/ Reg Connelly
_Ich bin von kopf bis fuss auf Liebe eingestell_t
Marlène Dietrich, chant
Weintraub Syncopators

Frederick Hollander/ Reg Connelly
This evening children
Marlène Dietrich, chant
Weintraub Syncopators

Kurt Weill
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny : Sie soll sein wie ein Netz (acte I)
Peter Markwort, ténor
Horst Gunter, baryton
Chœur du NDR de Hambourg
Orchestre sous la direction de Wilhelm Bruckner-Ruggberg

Kurt Weill
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny : Wir wohnen in den Städten (Acte I)
Peter Markwort, ténor
Horst Gunter, baryton
Chœur du NDR de Hambourg
Orchestre sous la direction de Wilhelm Bruckner-Ruggberg

Arnold Schoenberg
Moses und Aron : Feierlich (Acte II, scène 3)
Orchestre Symphonique de la BBC
Direction : Pierre Boulez

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