New York (1925-30) : manger chez les Gershwin, boire chez les Rachmaninov et danser au Cotton Club

The Cotton Club, at 142nd Street and Lenox Avenue in Harlem, New York City, circa 1927.
The Cotton Club, at 142nd Street and Lenox Avenue in Harlem, New York City, circa 1927.  ©Getty - Hulton Archive
The Cotton Club, at 142nd Street and Lenox Avenue in Harlem, New York City, circa 1927. ©Getty - Hulton Archive
The Cotton Club, at 142nd Street and Lenox Avenue in Harlem, New York City, circa 1927. ©Getty - Hulton Archive
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Dernière étape à New York ! Que l'on soit invité au 5ème étage de la maison des Gershwin, assis en tailleur chez les Rachmaninov, ou en route pour le Cotton Club, la nuit new-yorkaise est riche de mille possibilités.

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Programmation musicale

New York, dans le Greenwich Village 

Ce samedi soir, dans l’appartement du parolier Howard Dietz, le candélabre en cristal du salon se met à trembler. « On avait l’impression, raconte-t-il, qu’il se passait une sorte de festival de jazz là-haut. J’ai dit à ma femme avec qui je devais me rendre au théâtre : « Attends un instant, je vais monter leur demander d’arrêter ce vacarme. Si ce lustre tombe, il risque de nous tuer. » 

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Howard Dietz monte, et frappe à la porte. Quelqu’un lui ouvre avec précaution, lui fait signe de ne pas déranger le musicien. Quelques 40 personnes sont installés par terre autour du piano de concert devant lequel est assis un brun ténébreux en train de jouer et de chanter d’une voix riche et gutturale. Son talent est indiscutable. Howard Dietz s’installe. Au bout d’un certain temps, sa femme, impatiente de ne pas le voir revenir, monte elle aussi. Il  va à la porte, lui fait signe de ne pas déranger, et de s'asseoir. 

« Nous ne sommes jamais arrivés au théâtre, et nous ne nous sommes pas davantage inquiété du lustre, poursuit le parolier de Broadway. Dorénavant, chaque samedi soir, nous nous rendions chez nos voisins du dessus pour entendre le précieux concert que nous offrait George Gershwin. » 

Au milieu des années 20, le dandy le plus prisé de New York investit une maison de cinq étages en granit blanc, sur la 110e rue, près du Riverside Drive.

George Gershwin
The Man I love
George Gershwin, piano
CD Musicmasters

À réécouter : Gershwin le mélancolique
Gershwin le Magnifique
58 min

George Gershwin
Tell me more
George Gershwin, piano
CD Nonesuch

George Gershwin
Lady be good : Fascinating rhythm
Fred et Adele Astair, voix
George Gershwin, piano
CD living Era

George Gershwin
Lady be good : oh lady be good
Fred Astair, voix
George Gershwin, piano
CD living Era

George Gershwin
Lady be good : the half of it
Fred Astair, voix
George Gershwin, piano
CD living Era

42e rue
59 min

Plus bas sur la Riverside Drive, cette grande avenue qui longe le fleuve Hudson, sur la rive Ouest de Manhattan, se trouve la maison des Rachmaninov. L’adresse est connue parmi les artistes russes qui passent par New York City, notamment les comédiens de la troupe du « Moscow Art Theater » en tournée. Car si Rachmaninov poursuit sa vie de musicien mondain, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est recevoir des russes de passage aux Etats-Unis. Le chanteur et acteur Fedor Chaliapine est l'un des invités des nombreuses soirée chez les Rachmaninov.

Horizons classiques
2h 00

Serge Rachmaninov
Barcarolle en sol mineur op.10 n°3
Alexander Sevastian, accordéon
CD Analekta

Traditionnel russe
Les Yeux Noirs
Fedor Chaliapine, basse
Orchestre de Balalaikas
Direction : Alexandre Scriabine
CD Classical Collector

Serge Rachmaninov
Danse symphonique op.45
Serge Rachmaninov, piano
CD Marston

Serge Rachmaninov arrange 3 chants russes, pour choeur et orchestre. Ces 3 chansons ont sauvé le concert qu'il a donné au Carnegie Hall, le 22 novembre 1927. Ce sont en effet les seules compositions qui vont trouver grâce aux yeux de la critique… car après une année sabbatique, Rachmaninov a écrit un 4ème concerto pour piano très mal reçu par la presse.

Rachmaninov a bien l’intuition que ce concerto pèche par sa longueur, et par manque d’originalité… Il écrit à son ami et compositeur, Nicolaï Medtner : «  la taille de l’oeuvre - 110 pages - me terrifie. Je suis trop lâche pour vérifier sa durée. J’ai besoin d’être moins loquace, d’abréger. J’en suis honteux ! Apparemment, le problème est surtout dans le 3ème mouvement. Qu’est-ce que j’ai accumulé comme musique ! Je ne vois que 8 mesures à couper, et encore, ce n’est que dans le premier mouvement, qui n’est pas démesurément long. Et je "vois" à présent que l’orchestre ne se tait presque jamais, ce qui est un grand péché. Ce n’est pas un concerto pour piano, mais pour piano et orchestre".

Le 22 Novembre 1927, au Carnegie Hall, le public se montre enthousiaste, mais la critique est cinglante.

« Je remarque aussi que le thème du 2ème mouvement est le même que le 1er mouvement du concerto de Schumann. Comment se fait-il que tu n’aies pas remarqué ça? Pourquoi ne me l’as-tu pas dit? » questionne Rachmaninov, dans cette lettre à son ami Medtner, à qui il dédie cette oeuvre.

Serge Rachmaninov
Mes joues si blanches et si roses
Nadezhda Plevitskaya, mezzo-soprano
Serge Rachmaninov, piano
CD Marston

Serge Rachmaninov
Mes joues si blanches et si roses
Chœur et Orchestre de la Radio de Moscou
Direction : Alexander Gauk
CD Brillant Classics

Serge Rachmaninov
Concerto n°4 en sol mineur op.40 (Allegro)
Boris Berezovsky, piano
Orchestre Philharmonique d’Oural
Direction : Dimitri Liss
CD Mirare

Serge Rachmaninov
Concerto n°4 en sol mineur op.40 (largo)
Boris Berezovsky, piano
Orchestre Philharmonique d’Oural
Direction : Dimitri Liss
CD Mirare

Serge Rachmaninov
Polka en la bémol Majeur
Vladimir Horowitz, piano
CD Sony Classical 

Le 8 janvier 1928, un jeune pianiste âgé de 25 ans regonfle le moral et la fierté de Rachmaninov : c’est Vladimir Horowitz, fraîchement débarqué à New York. Ils se rencontrent dans les sous-sol de l’atelier Steinway & Sons. Horowitz se révèle être son meilleur interprète…

Jean Sebastien Bach
Concerto en ré Majeur BWV 972 (allegro)
Wanda Landovska, clavecin
CD Testament

Claude Debussy
Rhapsodie n°1 en si bémol Majeur L.116
Orchestre Philharmonique de New York
Stanley Drucker, clarinette
Direction : Leonard Bernstein
CD Sony Classical

Jasha Heifetz joue en janvier 1928 après une longue tournée la 3ème Sonate pour violon de Brahms, la 3ème sonate de Jean Sebastien Bach, le concerto de Glazounov, et une série de petites pièces légères, arrangées souvent par ses soins à partir des dernières compositions de ses contemporains, comme cette pièce de Manuel de Falla “Jota”.

Mais les critiques réservent quelques piques pour Heifetz, accusé de se complaire dans des pièces courtes pour satisfaire les goûts du public… A quoi tient un arrangement réussi ? une orchestration réussie ? Ce sont les questions que se pose Duke Ellington au même moment… 

Manuel de Falla
Jota, mélodie populaire espagnole
Jasha Heifetz, violon
Isidor Achron, piano
CD RCA

Mario Castelnuovo-Tedesco
Etudes d’ondes : le murmure de la mer
Jasha Heifetz, violon
Arpad Sandor, piano
CD RCA

Dorothy Fields, Jimmy Mac Hugh, T. Healy
Harlem River Quiver
Duke Ellington & his orchestra
CD Frémeaux et associés

Duke Ellington
The Mooche
Duke Ellington & his orchestra
CD Le Chant du Monde

De l’autre côté de Central Park… Au 644 de la Lenox avenue,au coeur de Harlem, se trouve le Cotton Club, lieu nocturne dessiné sur mesure pour les blancs qui souhaitent s’encanailler dans le quartier noir.

Les habitants du quartier se pressent pour voir défiler les Cadillacs, Rolls Roys ou autre Dusenberg, et apercevoir les célébrités qui viennent ici - comme Lady Mountbatten, qui surnomme le lieu « l’aristocratie de Harlem ».

L’orchestre de Duke Ellington débarque le 4 décembre 1927… 

Dans l’entourage du Duke, tout le monde parie qu’ils ne tiendront pas un mois au Cotton Club… tous sauf Mexico… Mexico est un personnage à Harlem, il tient alors un bar à alcool, le ginmill le plus fréquenté de la 133e rue où circulent les musiciens, le tuba sur l’épaule ou la trompette dans une main, en route pour quelques joutes musicales. Dans son ginmill, Mexico sert ce qu’il appelle du « 99 % ». Un degré de plus et vous tombez  raide mort. On est en pleine prohibition, et les habitués peuvent passer des nuits à regarder Mexico distiller son gin.

Le barman Mexico relève le pari pour 100 $... Et il gagne. Duke Ellington ne quitte la salle que cinq années plus tard.

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Duke Ellington
A Night at the cotton club
Duke Ellington & his Cotton Club Orchestra
CD Frémeaux et associés

Maurice Ravel
Rhapsodie espagnole : Feria
Orchestre de Philadelphie
Direction : Eugène Ormandy
CD Sony Classical

Maurice Ravel est en tournée aux Etats-Unis.  Il profite de sa présence à New York pour se rendre au Savoy Ballroom et au Connie’s Inn, découvrir le lindy hop et le hot jazz. Son emploi du temps est dense, il est sollicité de toutes parts, mais il parvient à fêter son 53e anniversaire chez la mezzo-soprano Eva Gauthier, en présence de Gershwin, qui lui joue sa Rhapsodie in Blue et The Man I love.

Le lendemain, le 8 mars 1928, Maurice Ravel est invité à diriger, au Carnegie Hall, l’orchestre symphonique de New York dans le tombeau de Couperin, Tzigane avec Samuel Dushkin au violon, la Valse et la Rapsodie Espagnole.

Ravel comprend-il alors ce qui fait la richesse de l’orchestre de Duke Ellington ? A-t-il perçu l’individualité des compagnons que Duke Ellington s’est choisi avec soin, lui qui écrit pour eux, veut tout savoir de leur personnalité, jusqu’à la façon dont ils jouent aux cartes ?

Duke Ellington / Miley Bubber
East Saint Louis toodle-oo
Duke Ellington & his famous cotton club orchestra
CD Frémeaux et associés

Duke Ellington / Arthur Whetsol
Mood Indigo
Duke Ellington, piano
Jungle Band
CD Frémeaux et associés

Duke fait les grandes heures du Cotton Club, où le public se rassasie de cette nouvelle musique et des revues, pour lesquelles sont recrutées des jeunes filles de moins de 21 ans et de plus d’1m67, noires certes mais plutôt claires de peau, qui doivent attendre leur tour sur scène dans des loges exigües. Le Cotton Club ne veut pas que ses artistes soient trop noirs - Louis Armstrong y est d’ailleurs refusé. 

Pourquoi le public blanc se presse-t-il au Cotton Club ? Pour regarder des jeunes filles légèrement vêtues, ou pour entendre la gouaille des blueswomen chanter l’amour comme Edith Wilson ? Ce public est-il réceptif au mouvement artistique de la fierté noire, celui du Harlem Renaissance ?

Heywood / Jannath
The Penalty of love
Edith Wilson, voix
Miley Bubber & his Mileage Makers
CD Frémeaux et associés

Ma Rainey
Prove it on me bleues
Ma Rainey, voix
CD Music Records

Alberta Hunter / Austin
Down Hearted Bleues
Bessie Smith, chant
Clarence Williams, piano 

La fin des années 20 marque les débuts de Billie Holiday, encore adolescente mais chantant déjà dans les bars de Harlem. Ces lieux seront durablement secoués par les effets de la grande dépression de 1929. Tandis qu’à Chicago, c’est la débandade et les règlements de compte entre gangs rivaux, notamment celui d’Al Capone. Le temps est à l’orage aussi à New York, comme le chante Ethel Waters au Cotton Club au début des années 30.

Ted Koehler / Harold Arlen
Stormy weather
Ethel Waters, chant
CD Frémeaux et associés

Skip James
Hard time killing flor blues
Skip James, chant et guitare
CD BD Music

Bibliographie

"Louis Armstrong and Paul Whiteman – Two Kings of Jazz", Joshua Berrett, Yale University Press, 2004
« Réflexions et souvenirs », Sergueï Rachmaninov, Buchet-Chastel  
« Sergei Rachmaninoff, A Lifetime in Music », Sergei Bertensson, Muriwai Books  
« Les grands violonistes du XXe siècle », Jean-Michel Molkhou, Buchet-Chastel
« Sergei Prokofiev : Autobiography, Articles, Reminiscences », University Press of the Pacific, Hawaï  
« Le jazz dans tous ses états », Franck Bergerot, Larousse
« L’histoire du jazz, le premier jazz, des origines à 1930 », Gunther Schuller, PUF  
« Ecoutez-moi ça : l’histoire du jazz racontée par ceux qui l’ont faite », Buchet-Chastel  
« George Gershwin », Franck Médioni, Folio biographies  
Archives du New York Times, du Metropolitan Opera et de Carnegie Hall

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