Sabine Gignoux nous emmène aujourd'hui à la découverte d'une exposition consacrée à Benjamin Constant, peintre orientaliste oublié et exposé au Musée des Augustins à Toulouse.
Vous le savez, l’histoire de l’art est une science versatile. Des artistes adulés un jour, peuvent sombrer le lendemain dans l’oubli. D’autres méprisés hier se trouvent portés aux nues. Par exemple, les Impressionnistes, après avoir commencé dans la misère et sous les quolibets, ont fini par supplanter leurs rivaux académiques, dès la fin du XIXe siècle. Et aujourd’hui, par une sorte de retour de balancier, les musées s’emploient à redécouvrir tous ces peintres pompiers. Le musée d’Orsay a consacré en 2010 une exposition à Gérôme. Puis Montpellier a montré Cabanel et sa Vénus ripolinée comme une porcelaine. Et voilà que le musée des Augustins à Toulouse nous présente un élève de Cabanel, un certain Benjamin Constant. Un homonyme de l’écrivain mais, lui, peintre orientaliste et complètement oublié. J’ai vérifié, dans mon gros Larousse de la peinture : il n’y a pas une ligne sur ce Benjamin Constant. Alors je vous le présente en deux mots : il est né en 1845, il a grandi à Toulouse, avant d’entrer aux** Beaux-Arts à Paris** où il va faire carrière. Il fera plusieurs voyages au Maroc sur les traces de Delacroix, son modèle. Et il finit sa vie comme portraitiste mondain en Amérique du Nord et en Angleterre où il peint la reine Victoria. Si bien qu’à sa mort en 1902, le New York Times lui consacre un article élogieux.
Et puis, on l’a remisé aux oubliettes…ou ce qui revient au même dans les réserves des musées. Pourtant, Benjamin Constant est un artiste du genre encombrant. Un ambitieux qui peint des grandes machines pour se faire remarquer au Salon. Ça marche d’ailleurs : en 1876, à 31 ans, il présente une monumentale Entrée du Sultan Mehmet II à Constantinople, un tableau de 7 mètres de haut, aussitôt acheté par l’Etat et envoyé au musée de Toulouse où il trône encore. Mais d’autres musées comme celui de Besançon ou le Petit Palais à Paris, ont été moins soigneux : ils ont fini par rouler les immenses toiles de Benjamin Constant, qui ont dues être restaurées pour l’exposition. Au total, le musée des Augustins de Toulouse, en partenariat avec le musée des Beaux-Arts de Montréal, a réuni 70 peintures de l’artiste dont près de la moitié proviennent de collections américaines. Et c’est une petite révélation. On découvre un coloriste brillant, un pinceau sachant jouer d’effets de matière. Ici des empâtements dorés à la Rembrandt. Là au contraire une peinture tellement fine que la trame de la toile se confond avec la chemise du modèle. Benjamin Constant excelle aussi dans les éclairages : avec un simple rayon de soleil, il vous déflore tout un harem…
Benjamin Constant a fait le portrait de Camille Saint-Saëns car il était très mélomane, violoniste lui-même. On lui doit aussi un grand portrait en grisaille de Beethoven composant la sonate au clair de lune… Et une allégorie de la musique peinte au plafond de l’Opéra comique à Paris. Benjamin Constant était très introduit dans les cercles mondains de la IIIe République, grâce à son mariage avec la fille du ministre Emmanuel Arago. Ce qui l’a sans doute aidé à obtenir plusieurs commandes de grands décors : pour la Sorbonne, la gare d’Orsay, l’Hôtel de Ville de Paris ou le Capitole à Toulouse . Il a un vrai talent de décorateur, ce qu’on va lui reprocher…
Notamment dans ses tableaux orientalistes, où il assemble des** bibelots hétéroclites**, des étoffes brillantes et des cocottes à la peau claire qui sentent l’Orient de pacotille. Benjamin Constant a voyagé pourtant à Grenade et au Maroc. Ce n’était pas si fréquent à l’époque. Il cite les architectures de l’Alhambra ou de Tanger, dans ses peintures. Mais à part quelques esquisses ou le Portrait d’un Caïd, la plupart de ses tableaux ont été composés après son retour à Paris. Constant avait un atelier rue Pigalle, rempli de tapis et d’objets exotiques. Il adorait y recevoir sa clientèle entre un crocodile empaillé et une peau de tigre... Si bien que Huysmans le baptisera « l’Orientaliste des Batignolles ». Et c’est vrai, qu’il produit, parfois en série, des images d’un Orient largement fantasmé, avec ses scènes cruelles ou ses beautés alanguies jouant avec des panthères… Il le fait avec brio. Et il reflète au fond, les préjugés de son époque, où la politique coloniale était en plein essor et où il fallait justifier en quelque sorte, la mission civilisatrice de la France. Mais cela vaudra à Benjamin Constant d’être renvoyé ensuite dans les oubliettes de l’histoire…
♫ EXTRAITS
Camille Saint Saens - Suite algérienne opus 60
1er mouvement Prélude
Lonson Symphony orchestra
Yondani Butt, direction
ASV CD DCA 599
Georges Bizet - Carmen
Habanera
Emma Calvé, soprano
Avec accompagnement d’orchestre « Victor »
Disque Victor, Philadelphia, 1907
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