Igor Stravinsky (2/8) : Les Ballets russes, 1910-1913

Igor Stravinsky (à droite) en compagnie de l'impresario Serge Diaghilev à Séville en 1925
Igor Stravinsky (à droite) en compagnie de l'impresario Serge Diaghilev à Séville en 1925 ©Getty - Hulton Archive
Igor Stravinsky (à droite) en compagnie de l'impresario Serge Diaghilev à Séville en 1925 ©Getty - Hulton Archive
Igor Stravinsky (à droite) en compagnie de l'impresario Serge Diaghilev à Séville en 1925 ©Getty - Hulton Archive
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Au lendemain de la première de L’Oiseau de feu, le 25 juin 1910 au Palais Garnier, Igor Stravinsky est un homme célèbre. En quelques semaines, il rencontre tout ce que Paris fait d’artiste et de mondain : Debussy, Ravel, Manuel de Falla, mais aussi Sarah Bernhardt, Claudel, Giraudoux...

Et puis il y a les mécènes, qui littéralement se jettent sur lui – en un temps où l’essentiel des projets artistiques est financé par des donateurs privés ; et surtout des donatrices : la comtesse Greffulhe, ou la princesse de Polignac. En somme, voilà en quelques semaines posées les bases d’une carrière pour les 30 ans qui viennent.

1911 : Petrouchka

Au lendemain de L’Oiseau de feu commence pour Igor Stravinsky une vie semi-nomade qui va être la sienne jusqu’à la guerre. Il suit Serge Diaghilev et sa troupe des Ballets Russes, toujours en répétitions ou en représentation dans une capitale ou une autre. Il s’arrête dans quelques lieux de villégiature pour écrire – et pour la vie de famille. A Vevey nait son second fils, Soulima. Et c’est en Suisse justement, cette même année 1910, que Diaghilev et Nijinski le trouvent travaillant à ce qu’il appelle alors un Konzertstück. 

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Diaghilev suggère de donner à ce projet symphonique la forme d’un ballet ; on s’entend sur une date de création, sur l’argument, Petrouchka donc, dont Diaghilev fait une histoire d’amour et de jalousie entre marionnettes, avec un pantin malicieux, un inquiétant rival, une foire, une population pittoresques de cochers, tziganes, montreur d’ours… Stravinsky achève l’œuvre le 26 mai 1911. Depuis son premier ballet, l’évolution est considérable : finie la grande fresque clinquante, finies les mixtures et les alliages savants à la Rimski-Korsakov, plus de chromatismes séducteurs : des rudesses harmoniques, du diatonisme, de la polytonalité qu’il  expérimente avant tout le monde avec délices, et une oreille impeccable. La création, le 13 juin 1911 au Théâtre du Châtelet sous la direction de Pierre Monteux, est à nouveau un succès. 

Musicopolis
24 min

29 mai 1913 : Le scandale du Sacre du Printemps

Dès 1910, Stravinsky a une vision : "un grand rite païen, avec de vieux sages assis en cercle, observant une jeune fille qui doit danser jusqu’à la mort pour que les dieux du printemps soient propices." Igor en parle immédiatement à son ami Nicolas Roerich, qui sera bientôt chargé des décors ; dès le début de l’année 1910 Le Sacre du printemps est pensé, et même largement esquissé pour la dernière scène : "Mon nouveau ballet, Le Couronnement du printemps [c’est ainsi qu’il l’appelle d’abord] n’a pas d’intrigue ; c’est une série de cérémonies de l’ancienne Russie"… Encore faudra-t-il décider l’imprévisible Serge Diaghilev. En 1912, il rejoint Nicolas Roerich en Russie et met avec lui la dernière main au livret du Sacre, pensant à une création pour l’année même ; mais Ravel a enfin fini Daphnis et Chloé, que les Ballets Russes présentent en juin 1912. Le Printemps devra encore patienter…  

Après le départ du chorégraphe historique des Ballets russes, Michel Fokine, Diaghilev veut mettre en avant son protégé – et amant, Vaslav Nijinski. Un danseur exceptionnel, puissant, magnétique, qui a pris dans les ballets de Fokine une place que le danseur masculin avait depuis longtemps perdu avec le ballet romantique. Stravinsky le connaît bien puisque c’est lui qui a créé le rôle de Petrouchka. Commencées fin 1912, les répétitions du Sacre du printemps se poursuivent selon les lieux de déplacement de la compagnie – Vienne Londres, Monte Carlo… 

Un théâtre nouveau, né de la volonté de Gabriel Astruc, a été inauguré le 2 avril : le Théâtre des Champs-Elysées. C’est là que doit être donné l’essentiel d’une saison des Ballets russes en demi teinte : Boris Godounov avec Chaliapine (déjà vu), Salomé de Florent Schmitt (une reprise)... La création de Jeux sur une musique de Claude Debussy, le 15 mai, laisse tout le monde indifférent. L’événement attendu , c’est bien le spectacle qui doit clore la saison.

Musicopolis
28 min

Le 28 mai, c’est la répétition générale, devant un public d’artistes, de mondains, de journalistes, de gens de lettre… dont beaucoup sont acquis à la cause. Mais Diaghilev est moins confiant pour la première ; sentant venir l’orage, il souffle aux danseurs – quoi qu’il arrive, demain restez calme ; et au chef, Pierre Monteux : "surtout, ne t’arrête sous aucun prétexte". Le 29 mai 1913, la baguette de Monteux se lève sur le solo de basson le plus célèbre de l’histoire…

Les premières mesures ont à peine commencé que des ricanements se font entendre. Diaghilev a engagé des jeunes gens pour faire la claque au parterre, applaudir et crier bravo ; ils irritent immédiatement ceux qui n’aiment pas, et comme par contagion, tout le public embraye. Parmi les spectateurs, Maurice Ravel crie au génie et se fait traiter de sale juif, Camille Saint-Saëns quitte la salle au beau milieu du ballet en levant les bras au ciel, les insultes fusent, des gifles s’échangent... Diaghilev fait rallumer puis éteindre alternativement la salle pour forcer le public au silence ; sans succès. Igor Stravinsky s’est réfugié dans les coulisses, le vacarme est tel que les danseurs n’entendent plus la musique : Nijinski, monté sur une chaise, compte les temps comme il peut en leur hurlant : 16-17-18… ! Le rideau se referme dans un désordre indescriptible. Le seul à ne pas s’être affolé est Pierre Monteux, qui est resté, d'après Stravinsky, "impassible, et blindé comme un crocodile".

Disques de légende
20 min

Bibliographie

  • Igor Stravinsky, Chroniques de ma vie, Denoël et Steele, 1935
  • André Boucourechliev, Igor Stravinsky, Fayard, 1989
  • Bertrand Demoncourt, Igor Stravinsky, Actes Sud / Classica, 2013
  • Abécédaire Stravinsky, sous la direction de la Fondation Igor Stravinsky, Editions La Baconnière, 2018
  • Avec Stravinsky : Textes d'Igor Stravinsky, Robert Craft,Pierre Boulez Karlheinz Stockhausen, Editions du rocher, 1958
  • Igor Stravinsky, Confidences sur la musique, propos recueillis (1912-1939), Textes et entretiens choisis, édités et annotés par Valérie Dufour, Actes Sud, 2013
Bibliographie de l'émission "Stravinsky, chroniques de sa vie"
Bibliographie de l'émission "Stravinsky, chroniques de sa vie"
© Radio France - France Musique

Archives INA : Témoignages de Jean Cocteau, Lucienne Astruc et Manuel Rosenthal

Programme musical

Igor Stravinsky, L'Oiseau de feu
Orchestre symphonique de Londres, Antal Dorati (direction)
Mercury

Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps - Première partie : L'adoration de la terre
Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam, Mariss Jansons (direction)
RCO Live

Igor Stravinsky, Deux Poèmes de Paul Verlaine
John Shirley-Quirk (baryton), Ensemble Intercontemporain, Pierre Boulez (direction)
Deutsche Grammophon

Igor Stravinsky, Pétrouchka
Philharmonia Orchestra, Esa-Pekka Salonen (direction)
Sony

Igor Stravinsky, Deux poèmes de Constantin Balmont
Dawn Upshaw (soprano), Ensemble instrumental
Nonesuch

Claude Debussy, Prélude à l'après-midi d'un faune, pour orchestre
Emmanuel Pahud (flûte), Orchestre philharmonique de Berlin, Claudio Abbado (direction)
Deutsche Grammophon

Erik Satie, Gymnopédie n° 2
Jean-Yves Thibaudet (piano)
Decca

Erik Satie, Peccadilles importunes
Jean-Yves Thibaudet (piano)
Decca

Richard Wagner, Parsifal : Vorspiel
Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan (direction)  
Deutsche Grammophon

Igor Stravinsky, Le Roi des étoiles, pour chœur et orchestre
Chœur & Orchestre de Cleveland, Pierre Boulez (direction)
Deutsche Grammophon

Richard Strauss, Eine Alpensinfonie op. 64 TrV 233 : Nacht
Staatskapelle de Dresde, Rudolf Kempe (direction)
Warner Classics

Arnold Schoenberg, Pierrot lunaire op 21
Luisa Castellani (voix), Andrea Lucchesini (piano), Staatskapelle de Dresde, Giuseppe Sinopoli (direction)
Teldec

Igor Stravinsky, Trois poésies de la lyrique japonaise
Dawn Upshaw (soprano), Ensemble instrumental  
Nonesuch

Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps : L'adoration de la terre (1er tableau), version pour 2 pianos
Katia & Marielle Labèque (pianos)
KML Recordings

Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps (Première partie : L'adoration de la terre)
Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam, Mariss Jansons (direction)  
RCO Live

Claude Debussy, Jeux
New Philharmonia Orchestra, Pierre Boulez (direction)
Sony

Jules Massenet, Thaïs : "Dis-moi que je suis belle" (Acte II, Scène1)
Renée Fleming (soprano), Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, Yves Abel (direction)
Decca

Aristide Bruant, A la Bastoche
EPM Records

Carl Maria von Weber, Aufforderung zum Tanz en ré bémol majeur op. 65 J 260 (Invitation à la danse), arrangement pour orchestre d'Hector Berlioz
Orchestre symphonique de Londres, Charles Mackerras (direction)
Decca

Igor Stravinsky, Le Sacre du Printemps : L'adoration de la terre - Introduction
Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, Pierre Monteux (direction)
Decca

Igor Stravinsky, Le Sacre du Printemps - Première partie : L'adoration de la terre
Orchestre de Cleveland, Pierre Boulez (direction)
Sony

Igor Stravinsky, Le Sacre du Printemps - Deuxième partie : Le Sacrifice
Orchestre philharmonique de Los Angeles, Esa-Pekka Salonen (direction)
Deutsche Grammophon

Nikolai Rimski-Korsakov, Mlada, Suite d'orchestre : 3. Dance lithuanienne
Philharmonia Orchestra, Evgueni Svetlanov (direction)
Collins

Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps - Deuxième partie : Le Sacrifice
Musicaeterna, Teodor Currentzis (direction)
Sony

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