Germain Louvet : "Je ne m'identifie pas au modèle du mâle dominateur que j'incarne souvent sur scène"

Dans son livre autobiographique Des choses qui se dansent paru chez Fayard, le danseur étoile Germain Louvet raconte son enfance en Bourgogne, ses premiers émois musicaux, et sa découverte de la danse : “il n’y a rien de construit ni de défini dans mes mouvements. Je ne suis que pulsions et émotions” écrit-il dans le deuxième chapitre. Puis, ce sont les années d’apprentissage à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris à Nanterre, où il est interne dès l’âge de 12 ans et qu’il surnomme "mon Poudlard”.  Ce sont des années joyeuses, au cours desquelles il apprécie le "quotidien millimétré" et la vie en collectivité : “je ne passe pas une minute seul !” Un collectif qu'il dit regretter depuis sa nomination au poste d'étoile en 2016. Le premier chapitre du livre est d'ailleurs dédié à cette soirée mémorable où, à l’issue de sa prestation dans Le Lac des Cygnes en décembre 2016, Germain Louvet est nommé “étoile” par Aurélie Dupont et Stéphane Lissner. Il a 23 ans.

Six ans plus tard, dans un récit qui entremêle des descriptions de lieux, des souvenirs de spectacles, d'auditions, de voyages, Germain Louvet s'interroge en contrepoint sur sa place de danseur et d’étoile dans la société. Il nous propose également une réflexion sur le caractère profondément inégalitaire du milieu de la danse, et constate que les méthodes de travail y sont encore trop souvent fondées sur “l’humiliation et la violence psychologique”. Dans le cinquième chapitre intitulé "Les codes", il décrit la sélection opérée par les institutions depuis l’école jusqu’aux débuts de la vie professionnelle des jeunes danseurs, sur des critères qui ne dépendent pas seulement de leurs compétences techniques et artistiques. De 'belles proportions” sont en effet requises pour les hommes : être grand, avec de grandes jambes, de grands bras, de longs doigts, "un buste en V”, et même une chevelure fournie ! Pour les filles, les critères sont également très stricts : ne pas être trop grande, ne pas avoir trop de poitrine ni de fesses, etc. En plus de la morphologie, la couleur de peau des personnes racisées est malheureusement toujours un handicap pour faire carrière.

Le danseur étoile déplore ce système discriminatoire qui a pourtant contribué à sa réussite. Il se réjouit cependant des nouvelles mesures mises en place depuis quelques années par l'Opéra de Paris pour lutter contre les discriminations et les traditions désuètes - comme le blackface, définitivement supprimé des mises en scènes de l'Opéra de Paris en 2015 par Benjamin Millepied. Le danseur étoile porte aussi un regard original et lucide sur la notion de “vocation” dans l’art (et dans la danse en particulier), et affirme que c'est souvent l'opportunisme et la chance qui guident et déterminent une carrière. Une chance envers laquelle il dit ne pas ressentir de culpabilité, mais de l’humilité.

Germain Louvet s’interroge enfin sur “le rôle de l’homme” dans les ballets classiques, et sur la représentation des personnages qu'il incarne, souvent présentés comme virils et puissants. Ce sont "un peu toujours les mêmes, et on peut facilement tomber dans une représentation sortie de ce moule du mâle alpha un peu dominateur." Comment alors interpréter ces rôles sans être trop anachronique ou en ne véhiculant pas un cliché ? "Pourquoi je ne montrerais pas ces questions-là sur scène ?" s'interroge-t-il.

“L'homme puissant et sûr de lui que je dois incarner est celui qui m'écrase à coups de talon, me tabasse le soir dans la rue si je fais preuve de trop d'exubérance ou si je tiens la main d'un autre homme. L’homme que j'incarne est celui qui met des mains au cul impunément, qui siffle les filles dans le métro en se marrant. L'homme que je deviens est celui qui ne voit pas pourquoi être blanc lui donne plus de privilèges qu'à celui qui est noir. Je me suis appliqué pendant des années à m'y plier, malgré moi, malgré ma rage, ma défiance et ma résistance."
Germain Louvet, "Des choses qui se dansent", Fayard, p. 171

Germain Louvet sur scène

Germain Louvet interprète actuellement le rôle de Solor dans La Bayadère de Noureev à l’Opéra Bastille (prochaines représentations vendredi 8, lundi 11 et dimanche 17 avril).