Sabine Gignoux nous parle ce matin de Picasso…
Les expositions Picasso fleurissent un peu partout avec le printemps. A Paris d’abord, le musée Picasso s’intéresse à Olga, cette danseuse des ballets russes épousée par le peintre en 1918. Une figure un peu mélancolique : elle s’était exilée alors que son père et ses frères étaient engagés en Russie dans les forces contre-révolutionnaires. D’ailleurs, elle arrêtera vite la danse. Cette belle brune pensive inspire d’abord à Picasso, des tableaux classiques, un peu ingresques. Après la maternité d’Olga, il lui donne des formes plus sculpturales, inspirées des statues antiques. Et puis, badaboum, en 1927, Picasso croise une très jeune femme, blonde, dont il tombe éperdument amoureux : Marie-Thérèse Walter. Leur relation d’abord secrète, va finir par susciter la jalousie d’Olga. Picasso bascule alors dans un style surréaliste où il se met à déformer son épouse. Il la peint tête renversée, bouche ouverte, montrant les dents comme dans le grand Nu au fauteuil rouge. Parfois encore, il fait d’elle un cheval dans ses scènes de tauromachie où lui se transforme en taureau et l’éventre avec ses cornes. C’est fascinant de voir ainsi chez Picasso, combien sa vie se fond avec son œuvre. Comment toutes ses émotions amours, colères, et même envies de meurtre-, il parvient à les transcender dans sa peinture…
D’autant qu’on peut suivre la suite de cette histoire d’un Picasso, pris entre Olga et Marie-Thérèse, au musée de Rouen…
En effet, le musée des Beaux-Arts de Rouen expose en effet l’atelier de Picasso à Boisgeloup. Boisgeloup, c’est un château acheté en Normandie par le peintre en 1930. Une demeure un peu délabrée mais dotée de grands communs, Picasso va y installer un atelier de sculpture. Il n’y a pas l’électricité, juste une lampe à pétrole. Et dans cette espèce de caverne naissent bientôt une foule de têtes et de bustes de Marie-Thérèse en plâtre. Des œuvres surréalistes où le visage de la jeune femme est souvent réduit à un seul nez énorme, aussi grand que le désir du peintre. Olga finira par comprendre qu’une nouvelle muse est entrée dans la vie du peintre. Et le couple se séparera en 1935. Boisgeloup est revenu en héritage au petit-fils du peintre Bernard. Et profitez-en : il l’ouvre pour la première fois aux visiteurs, ce samedi, ainsi que les samedi 22 avril, 13 et 27 mai.
Une troisième exposition au musée du Quai Branly à Paris explore le goût de Picasso pour les arts primitifs…
Oui, Clément et c’est la plus impressionnante des trois. Imaginez 300 œuvres mêlant des sculptures, des tableaux de Picasso et des masques et des statuettes d’Afrique, d’Amérique, des peintures d’Océanie, avec une telle osmose que l’on ne sait plus parfois, qui est le moderne, qui est le primitif. Yves le Fur, qui est le directeur des collections du musée, a choisi des œuvres vraiment extraordinaires, pour montrer ce qui aimantait Picasso dans ces arts premiers dont il était grand collectionneur. Alors on a souvent parlé de leur influence à propos des Demoiselles d’Avignon en 1907, ces femmes peintes comme des masques hypnotiques. Mais l’exposition montre que l’intérêt de Picasso s’est poursuivi en fait jusqu’à la fin de sa vie. Et combien au-delà des emprunts formels, il admirait la puissance sacrée de ces œuvres, capables avec des moyens épurés d’exorciser nos peurs comme nos désirs, d’oser des déformations ou des métamorphoses. Bouleversé par sa première visite au musée ethnographique du Trocadéro, Picasso disait : « j’ai alors compris le sens même de la peinture : une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous ».