La compositrice russe Sofia Goubaïdoulina fête ses 90 ans le 24 octobre. L'occasion de revenir sur son parcours et sa mise en lumière d'une autre grande personnalité de la Russie du XXe siècle : la poétesse Marina Tsvetaïeva.
En 1979, Sofia Goubaïdoulina est inscrite sur la liste noire des musiciens et musiciennes par le chef de l’Union des compositeurs soviétiques. Son crime ? Une musique décadente, bien trop novatrice… A ce moment-là il y a la Sofia Goubaïdoulina qui compose sagement des musiques de films pour gagner sa vie, et la Sofia Goubaïdoulina qui explore, invente, recherche des sonorités, touche aux instruments de musique électronique, et créé des œuvres jouées partout ailleurs, mais pas dans son pays natal.
En 1981, Vienne accueille par exemple la création de son Offertorium avec le violoniste Gidon Kremer. Trois ans plus tard, la compositrice voyage hors URSS pour la première fois et compose par la même occasion, une œuvre chorale dédiée à la poétesse russe Marina Tsvetaïeva.
L'exil et la misère
Toutes les deux viennent d’un pays tourmenté, la Russie du 20e siècle. Marina Tsvetaïeva est née en 1892. Elle vit en exil pendant 17 ans, dont 14 qu’elle passe à Paris. Elle connaît la faim, le deuil, la traque, la censure, mais aussi des passions amoureuses pour des hommes et des femmes, souvent les artistes et intellectuelles les plus en vue de l’époque.
En 1913, elle écrit : “Mes poèmes seront dégustés comme les vins les rares Quand ils seront vieux”. Sa fin est tragique. Elle rentre en URSS en 1939, Sofia Goubaïdoulina a alors 8 ans, et après l’assassinat de son époux - et dans la misère la plus totale - elle se donne la mort.
Deux vies, deux destins
La vie de Sofia Gubaidulina n’est pas aussi tourmentée que celle de la poétesse. Mais si elle choisit de lui rendre hommage dans les années 80, c’est bien pour mettre en lumière un destin, une figure qui la touche. On peut faire quelques liens entre leurs deux vies, à commencer par le piano. Marina Tsvetaïeva est fille d’une pianiste contrariée, dont le mari refuse qu’elle embrasse une carrière de musicienne. C’est donc à elle que revient la lourde tâche d’accomplir ce que sa mère n’a pas pu faire. Elle choisit cependant la poésie.
A l’inverse, Sofia Gubaidulina va très vite, de son plein gré, se passionner pour l’instrument, quoique frustrée d’être limitée par les possibilités réduites du piano. Très jeune, elle improvise avec sa sœur et comprend la distance entre ce qu’elle veut entendre et ce qu’elle peut faire. De là naît son envie de composer, de transcender le son, d’aller au-delà de ce qu’elle apprend sagement au Conservatoire de Moscou.
Les premières créations, sans elle
Elle croise la route du compositeur russe Dmitri Chostakovitch et devient son assistante quelques années. C’est lui qui lui souffle à l’oreille de continuer ses expérimentations en musique, celles qui ne sont pas reçues d’un bon œil par les institutions officielles de musique. En Russie, son nom est surveillé de près, tandis qu’à partir des années 70 et surtout 80, sa musique est créée partout ailleurs en Europe et dans le monde, sans qu’elle puisse vraiment y assister.
A partir de 1986, deux ans après la composition de son hommage à Marina Tsvetaïeva, elle est enfin libre d’entendre sa musique, sans menace ni contrainte, et elle finit par quitter son pays natal pour s’installer en Allemagne. Depuis, elle est devenue une des compositrices les plus jouées, admirées, applaudies au monde. Ses 90 ans nous permettent de lui rendre hommage et de découvrir au passage la figure de la poétesse Marina Tsvetaïeva.
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