La démission du chef Tugan Sokhiev, 10 jours après le début de l'invasion russe en Ukraine

Le chef Tugan Sokhiev annonce sa démission de l'Orchestre du Bolchoï et du Capitole de Toulouse
Le chef Tugan Sokhiev annonce sa démission de l'Orchestre du Bolchoï et du Capitole de Toulouse ©AFP - Lionel Bonaventure
Le chef Tugan Sokhiev annonce sa démission de l'Orchestre du Bolchoï et du Capitole de Toulouse ©AFP - Lionel Bonaventure
Le chef Tugan Sokhiev annonce sa démission de l'Orchestre du Bolchoï et du Capitole de Toulouse ©AFP - Lionel Bonaventure
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En raison de la guerre russo-ukrainienne, le chef d'orchestre Tugan Sokhiev mais aussi Thomas Sanderling ont décidé de quitter leurs fonctions. Antoine Pecqueur revient sur ces annonces.

Ce week-end, il y a eu deux annonces très importantes : tout d’abord Thomas Sanderling, qui a mis fin à son contrat de directeur musical de l’Orchestre de Novossibirsk. Une décision lourde de sens : ce chef est né à Novossibirsk, il est le fils du maestro Kurt Sanderling, et a connu personnellement Chostakovitch. Dans une lettre, il rappelle justement qu’à travers sa musique Chostakovitch s’est toujours opposé à toute forme de dictature.
Et face à la violence des bombardements en Ukraine et la montée du totalitarisme en Russie, ce sont ses mots, Thomas Sanderling préfère donc quitter son poste à Novossibirsk.
La réaction de Tugan Sokiev n'est pas sur le même ton. Dans un message, le chef annonce qu’il met un terme immédiat à ses fonctions à la fois de l’Orchestre du Bolchoï à Moscou et de l’Orchestre du Capitole de Toulouse, où son contrat prenait fin cette saison. 
Le chef s’oppose de manière générale à la guerre, sans pour autant parler précisément de la situation en Ukraine et de la politique de Vladimir Poutine. En fait, ce qu’il dénonce surtout c’est une forme de censure, de cancel culture, selon ses mots, qui obligerait aujourd’hui les musiciens à choisir entre jouer la musique russe et la musique européenne. Il évoque des boycotts d’œuvres russes, et sa critique est en cela légitime, mais se placer en victime comme il fait est un peu dérangeant au moment où des villes comme Marioupol et Kharkiv sont tout simplement sous les bombes. Son prédécesseur au Bolchoï, le chef Vassily Sinaisky, avait su lui trouvé d’autres mots pour dénoncer l’invasion d’un état souverain et la tragédie que cela représente. Selon Vassily Sinaisky, un musicien doit être à l’écoute de la société et y réagir.

Tugan Sokiev affirme qu’il est avant tout un musicien, sous-entendu qu’il n’est pas un politique

Rappelons une chose : la rémunération des chefs d’orchestre est la plus élevée, tout métier confondu, avec de l’argent public, et c’est le cas en Russie comme en Europe. Il y a donc déjà un lien concret de facto avec le pouvoir. 
Même dans le théâtre, où les salaires ne sont pas aussi hauts, la metteur en scène Elena Kovalskaya a quitté son poste de directrice du Centre Meyerhold de Moscou en le justifiant ainsi : « Il est impossible pour moi de travailler pour un meurtrier et de recevoir un salaire de sa part ».
En outre, dans sa lettre, Tugan Sokhiev dénonce le fait que le festival Franco-russes qu’il a lancé à Toulouse soit aujourd’hui contesté par les autorités françaises. Pour lui, ce festival était juste un pont entre deux belles cultures. Ces mots sont jolis mais aussi un peu naïfs. Il suffit de voir que ce festival se faisait avec le soutien de l’ambassade de Russie en France pour en mesurer la portée diplomatique. La Russie de Vladimir Poutine n’a eu de cesse de miser sur le soft power, à travers la culture ou les médias. Sans oublier aussi l’enjeu économique : le principal mécène privé du festival n’était autre que Total, cette même entreprise qui est l’une des rares à n’avoir pas encore quitter la Russie, tant ce marché est crucial pour le groupe français.

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Les artistes ont donc aussi une responsabilité sur le plan politique

Dominique Meyer, le directeur de la Scala de Milan, rapportait à Antoine Pecqueur que cette guerre pose la question de fond du rapport entre l’artiste et le pouvoir. On ne saurait mieux dire...
Et il faut déjà distinguer de quels artistes on parle. Il n’y a aucun sens, absolument aucun sens, à interdire la participation de jeunes artistes russes à une manifestation, comme on l’a vu avec un concours en Irlande. C’est un non-sens total, d’autant que nombre d’artistes russes sont opposés à la politique de Vladimir Poutine.
La compositrice Elena Rykova, qui est professeur à Harvard, qualifie le président russe de danger pour l’humanité. Des artistes osent dénoncer clairement sa politique, et il faut plus que jamais les soutenir, d’autant qu’ils risquent énormément en faisant ce genre de déclaration. Mais de l’autre côté, les figures les plus institutionnelles qui ont fait leur carrière grâce aussi au soutien politique ne peuvent aujourd’hui se cacher derrière un art qui serait au-dessus de toute considération politique.
Finissons avec un dernier exemple : le soir même de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le chef d’orchestre Teodor Currentzis organisait à Saint-Pétersbourg une immense fête pour ses 50 ans avec près de 500 personnes, une profusion d’alcool et de caviar. C’est au mieux d’une indécence insupportable, au pire un soutien clair à la politique de ce régime dictatorial.

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