Christian Merlin propose chaque vendredi dans La Matinale de décrypter une actualité musicale. Pour sa première chronique, il revient sur le licenciement d'Emily Skala, flûtiste solo de l'Orchestre Symphonique de Baltimore, qui avait partagé des théories complotistes sur les réseaux sociaux.
Pour en arriver à renvoyer une musicienne ou un musicien d’orchestre, il faut vraiment qu’il y ait faute grave.
Licenciée par l’Orchestre Symphonique de Baltimore dont elle était flûte solo, Emily Skala avait fait parler d’elle plusieurs fois en postant sur les réseaux sociaux des messages peu musicaux, par exemple pour exprimer sa conviction selon laquelle la victoire de Donald Trump a été volée, mais surtout pour exprimer son scepticisme par rapport à la pandémie.
Ses opinions étaient parfois contradictoires. En effet, il y a une fois où elle a expliqué que le SARS-Cov-2 avait été fabriqué par l’Université de Caroline du nord et une autre fois que le virus n’existe tout simplement pas.
Elle pourrait donc constituer à elle seule un cas d’école pour étudier les discours complotistes et l’ère de la post-vérité, mais elle ne le voit pas ainsi, considérant qu’elle gêne parce que ce qu’elle dit n’est pas dans le « mainstream » et crée donc une « dissonance cognitive ».
Plus récemment, elle a sans surprise pris position contre la vaccination, ce qui serait tout à fait recevable sans cette justification qui fait froid dans le dos : « puisque les chambres à gaz ont été reconnues comme crime contre l’humanité, au nom de quoi m’obligerait-on à me faire vacciner ? » Bref, la flûtiste dérape, déraille, on n’a plus envie de rire.
Mais la question demeure : qu’en est-il de la liberté d’expression, et son attitude a-t-elle nui à son travail qui est de bien jouer de la flûte, ce qu’elle fait depuis 33 ans à l’Orchestre de Baltimore ? Autrement dit : cela justifie-t-il un licenciement ? Elle dépose un recours pour violation de ses droits constitutionnels et se dit harcelée. L’administration de l’orchestre précise que ses messages ne sont pas la principale raison et qu’elle a par ailleurs contrevenu de manière répétée au règlement de l’orchestre, négocié avec les syndicats.
Impossible de trancher cette question ce matin, mais l’intérêt de cet épisode est de rappeler qu’un orchestre est une micro-société, qu’il est bien naturel que toutes les tendances, opinions, convictions y soient représentées, et qu’il n’y a aucune raison pour que les musiciens ne soient pas traversés par les tensions que connaît la société dans son ensemble. Et pour ceux qui croyaient encore que la musique adoucit les mœurs, il va falloir en rabattre sur vos espoirs…
Programmation musicale
- 07h48
Tarantella napoletana, tono hypodorico Athanasius KircherTarantella napoletana, tono hypodoricoAlbum La tarantella: Antidotum tarantulae (2001)Label ALPHA (ALPHA 503)
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