

Pour la saint-Valentin, nous allons parler de suicide, de cancrelat géant et de machine à torturer. Nous allons parler de Kafka, ce terrible amoureux comme chacun sait, amoureux du désespoir et de l’aliénation, car nous avons assisté, à Dijon, aux Châtiments !
Les Châtiments, qu’est-ce que c’est ? C’est un opéra contemporain, une commande de l’Opéra de Dijon à son compositeur en résidence, Brice Pauset. Ces Châtiments regroupent trois textes de l’auteur praguois, le Verdict, la Métamorphose et la Colonie pénitentiaire. La mise en scène est signée David Lescot, et Emilio Pomarico dirige l’orchestre Dijon Bourgogne. Le premier élément frappant de cette production réside dans ses disproportions : la musique, qui est atonale, plutôt légère en densité, et qui est aussi formée de bruits épars, n’a rien à voir avec les dimensions de l’orchestre très imposant, de type postromantique, qui siège dans la fosse, et dont elle se sert de la variété pour multiplier les timbres et créer quelques effets de puissance redoutables.
Et les chanteurs, eux aussi, sont redoutables...
Ils participent à un opéra qui a tout du drame lyrique. Ils chantent, certes, mais ils parlent aussi beaucoup - c’est Kafka. Le compositeur a même fait des recherches sur la façon de prononcer le Prager Deutsch, l’Allemand en cours à Prague à l’époque, celui que parlait l’auteur. Mais ils doivent surtout jouer le texte, dans leur corps, dans leur chair. Car la mise en scène élégante de David Lescot ne cède rien sur le théâtre. Les chanteurs interprètent plusieurs rôles, et par exemple pour le baryton Allen Boxer, qui joue le Gregor de la Métamorphose, le représentant de commerce qui se transforme en insecte, la tâche est très physique : il saute sur des tables, se colle aux murs, se retrouve couvert de latex pour finir ensuite dans la Colonie pénitentiaire tout nu écrasé par une herse… pas forcément évident. C’est d’ailleurs aux chanteurs qu’on devrait envoyer des roses pour la Saint Valentin.
Les chanteurs paient de leur personne et le résultat est là : cette métamorphose, on y croit, grâce à la tension musicale, à la mise en scène subtile et à l’engagement des chanteurs. Mais surtout ce qui est intéressant, en termes d’amour, c’est que ces Châtiments consacrent l’étreinte de la musique et du théâtre. Le parlé et le chanté, la performance scénique et vocale s’y unissent parfaitement et, malgré la noirceur du propos, c’est finalement d’un beau couple dont il est question, dont vous pouvez encore assister aux noces ce soir et dimanche en matinée.
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