Stéphane Audard : L'histoire de l'enseignement du jazz en France

Stéphane Audard est musicien de jazz et enseigne l'histoire et l'analyse du jazz au conservatoire à rayonnement régional de Paris, et au conservatoire du IXe et XIe arrondissement. En première année de doctorat, ses recherches portent sur l'histoire de l'enseignement du jazz en France : entre enjeu théorique, pédagogique et musicaux.

"Deux choses m’ont amené à entreprendre cette recherche. En premier lieu, en tant que musicien et enseignant, je me pose un certain nombre de questions. Depuis quand le jazz s’apprend-il dans des écoles ? est-ce que le développement massif de l’enseignement du jazz depuis une quarantaine d’année a-t-il changé cette musique ? Ensuite, en travaillant sur ces questions, je me suis rapidement rendu compte que très peu de travaux ont été réalisé dans ce domaine. L’histoire de l’enseignement du jazz est donc un terrain relativement vierge. D’où une nouvelle question : pourquoi on en parle si peu ?

Historiquement, le jazz s’est appris en dehors de toute école ou conservatoire. C’est une musique qui s’apprend au contact d’autres musiciens, en jouant sur scène, en participant à des jam sessions, en écoutant des disques. C’est heureusement toujours le cas. Mais pour certains, le jazz serait même une musique qui ne s’enseigne pas. Comme dit Louis Armstrong : « Si vous devez demander ce que c'est que le jazz, vous ne le saurez jamais ». Pourtant les premières écoles de jazz sont créées à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ensuite le jazz intègre progressivement les universités, les conservatoires. Il est maintenant présent dans les plus grandes institutions. Aujourd’hui, la quasi-totalité des musiciens ont appris dans une de ces institutions, et une grande partie d’entre eux y enseigne. Bien sûr, l’enseignement du jazz dans les écoles est parfois critiqué, On lui reproche, et quelquefois avec raison, de formater les musiciens et de se focaliser sur la technique au détriment de l’esprit de cette musique. C’est par exemple ce qu’on peut voir dans le film Whiplash, de Damien Chazelle.

Maintenant qu’on comprend mieux les raisons de ce silence et cette défiance, l’objet de ma recherche est tout d’abord de retracer l’historique de l’enseignement du jazz, qui, chose étonnante, pourrait bien avoir commencé à Francfort en 1927. Évidemment, l’essentiel de cette histoire se déroule aux États-Unis, puis s’internationalise à partir des années 1970, date à laquelle l’enseignement du jazz se développe en France. C’est ensuite de comprendre ce qu’on enseigne, comment on l’enseigne, et quel type de jazz est transmis dans les écoles. La question du répertoire est centrale, et on observe que la période allant de 1940 à 1965 est, de loin, celle qui est la plus enseignée. Il est intéressant d’en comprendre les raisons, et de déterminer pourquoi les époques les plus anciennes, par exemple le jazz de la Nouvelle-Orleans, sont très peu abordées. C’est enfin de déterminer dans quelle mesure les lieux d’enseignements sont également des lieux de création du jazz. On pense ici au groupe d’élèves réunis autour de Lennie Tristano, à la Lenox School of Jazz, ou, plus près de nous, aux nombreuses master class et résidences d’artistes dans les conservatoires et écoles de jazz. On le voit, les questions que posent l’histoire du jazz sont complexes, mais elles méritent d’être traitées, car elles concernent autant le passé que l’avenir de cette musique."