Sylvain Roy : Le rubāb afghan

"Ma thèse porte sur le rubāb afghan, il s’agit d’un instrument de musique de la famille des cordophones, appartenant à la catégorie des luths à cordes pincées et enfin à la sous-catégorie des « rubāb ». Cette sous-catégorie rassemble tous les luths à cordes pincées d’Asie Centrale dont la table d’harmonie, partie qui porte le chevalet, est constituée d’une peau parcheminée.

Certains rubābs sont munis de cordes sympathiques, c’est-à-dire des cordes qui vibrent en harmonie avec les notes produites par les cordes mélodiques. C’est le cas du rubāb afghan, l’instrument est pourvu de 8 à 15 cordes sympathiques selon les modèles. Les cordes sympathiques modifient le timbre de l’instrument en lui conférant une coloration « chaude et profonde ».

Originaire du Pendjab, une région située de nos jours entre l’Inde et le Pakistan, le rubāb afghan s’est diffusé sur un large territoire allant de l’Ouzbékistan au Nord de l’Inde et du Cachemire à l’est de l’Iran. Sur place, l’instrument est quelque peu modifié et adapté aux besoins des répertoires locaux.

Mes recherches en Asie Centrale et en Asie du Sud, mais également dans les musées occidentaux, ont mis en évidence que même Afghanistan l’instrument a subi des modifications dans le courant du 20e siècle. Il a été légèrement transformé afin de répondre aux besoins de l’invention d’une nouvelle musique désignée par le terme pashtun kiliwal.

Selon une légende urbaine, le rubāb afghan aurait été transformé sous l’influence du sarod, un luth indien, lui aussi de type rubāb : les trois doubles-cordes mélodiques, traditionnellement en boyau, ont été ramenées à trois simples cordes en nylon et de nouvelles cordes en acier ont été disposées sur toute la longueur de l’instrument. Au-delà des ces transformations, le sarod et le rubāb afghan ont une histoire commune, ils étaient un seul et unique instrument avant que ne soit placé une touche en métal et des cordes mélodiques, elles aussi en métal, sur le sarod.

Le terme kiliwali veut littéralement dire « du village », c’est l’équivalent du mot arabe mahali que l’on retrouve employé dans le dari, la langue officielle d’Afghanistan. Cette nouvelle musique a la particularité d’être composite, c’est-à-dire : constituée d’éléments musicaux empruntés aux différentes traditions musicales que constitue cette étonnante mosaïque culturelle qui caractérise la population afghane. On note aussi une influence de la musique occidentale quant à la forme du répertoire kiliwali : les pièces présentent, en plus des parties couplet et refrains, une introduction spécifique, des parties instrumentales et même une coda.

L’objectif politique de cette nouvelle musique est de rassembler l’ensemble de la population afghanes autours d’une identité nationale commune. Le kiliwali sera largement diffusé sur les ondes de Radio Kaboul, renommé par la suite Radio Afghanistan. Participant pleinement au Roman national afghan, c’est cette musique moderne que nous percevons comme étant « traditionnelle » et les réelles musiques du village, celles directement liées à la tradition, n’ont que peu été valorisées à l’extérieur du pays. C’est ces dernières que l’on risque de voir définitivement disparaître avec le retour des Talibans dans la région.

La possible disparition des répertoires mahali constituera une perte importante du patrimoine immatériel de l’Afghanistan." (Sylvain Roy)