Tristan et Isolde de Richard Wagner (2/2)

Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883)
Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) - Aucun
Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) - Aucun
Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) - Aucun
Publicité

Chantal Cazaux, Alain Lompech et Yannick Millon élisent la version de référence de l'opéra Tristan et Isolde de Richard Wagner : deuxième partie d'émission.

Vous souhaitez participer à l'émission ?

Réécoutez la première partie de l'émission (diffusée le 17 avril 2022)

> Contactez l'émission

Publicité

Votez pour votre version préférée de Tristan et Isolde de Richard Wagner et tentez de gagner le disque France Musique de la semaine

CD à gagner : Matthias Goerne : The Wagner Project

Le Compte-rendu de Jérémie Rousseau

Frémissant, le Prélude captive, happe, et ne renonce à aucun hédonisme : Marek Janowski dompte la houle d’un Orchestre de la Radio de Berlin narratif à souhait. Hélas, Nina Stemme et Stephen Gould, poussifs, semblent dépassés par leur tessiture. Ce sera rédhibitoire pour la suite.

Daniel Barenboim affiche gravité et accablement dans un Prélude dont la pesanteur se mue bientôt en immobilisme. Trop d’accents et d’intentions entravent le flux wagnérien, que ses deux héros, Waltraud Meier et Siegfried Jerusalem remettent dans le droit chemin du théâtre, vivants, incarnés, intenses même : la mezzo allemande réinvente Isolde sans en avoir les moyens, mais son partenaire, fort intelligent musicien au demeurant, ne peut faire oublier les limites d’un timbre gris et chenu.

D’abord il faut rappeler le format hors-norme des deux voix légendaires qui dominent le Tristan et Isolde de Karl Böhm, lors de l’été 1966 à Bayreuth : aigus percutants de Birgit Nilsson, d’une perfection instrumentale et d’un métal idéal, juvénile et féminine à la fois, face au Tristan-lumière de Wolfgang Windgassen ; tous deux se fondent et fusionnent de manière organique dans un duo de la nuit pour l’éternité, témoignant d’une rare familiarité avec leur rôle. Les rejoint la Brangäne hors du temps de Christa Ludwig. D’où viennent alors les réserves ? En vérité Böhm se rue avec une telle urgence que sa battue, brillante et analytique, finit par tempérer le brasier wagnérien ; tout passe et arrive vite - trop vite. De surcroît, Martti Talvela est jugé nonchalant dans Marke. Ce ne sera pas le moindre des paradoxes de ce live !

La tension atteint son comble dès le premier accord. Et jamais elle ne retombera. Wilhelm Furtwängler respire large, déploie des phrasés océaniques, faisant sourdre danger permanent et poison morbide. Sa phalange, le Philharmonia, est une vaste masse noire fluctuante, miroir des âmes et des cœurs. Ludwig Suthaus et Kirsten Flagstad respirent ensemble, s’appuyant sur de gigantesques moyens vocaux : l’incandescence du duo embrase tout, avant que ne s’élèvent l’extase et la mélancolie, prolongées par la Brangäne de Blanche Thebom, comme en apesanteur. Josef Greindl, basse colossale, cisèle des mots où passent le dépit, la tendresse et la colère rentrée. Et que dire du délire de ce Tristan chevaleresque, dans un acte III d’anthologie ? Une version historique, que la recénte remasterisation permet de redécouvrir dans les meilleures conditions.

C’est le genre d’expérience dont on ne se remet pas. Pourvu qu’on passe la barrière sonore - ce son de 1952 entâché des crachotements et des bruits de scène du Festival de Bayreuth. Car Herbert von Karajan déclenche un incendie, dans un Tristan de tous les dangers, habité, tragique, dès un Prélude à la mélancolie incurable, qui laisse entrevoir la brûlure de la passion. Martha Mödl, torche vive, et Ramón Vinay, fascinant en dépit des approximations imputables au feu de l’action, sont tous deux emportés, chantent et jouent leur destin à la vie à la mort, relayés par un orchestre qui agit comme un laminoir : c’est une plaque tectonique que Karajan bouge, colore et ajuste constamment, où les voix se brisent puis ressurgissent. Une expérience, on le redit, en dépit des limites sonores.

La beauté instrumentale saisit d’emblée l’auditeur - une Staatskapelle de Dresde aux textures moirées, aux attaques millimétrées et aux fondus irréels, exprimant la douceur, la sérénité d’un amour impossible, à travers un Prélude au ton consolateur. Le mage Carlos Kleiber sera le héros de ce Tristanauréolé d’une lumière dorée, aux impalpables dynamiques, et qui toujours avance. L’optique chambriste, dans le confort du studio, permet alors à Margaret Price de composer une Isolde au plus près des mots et des nuances, où le texte résonne avec une clarté inattendue. A sa jeunesse répond celle de René Kollo, capable aussi d’emportements héroïques ; l’agonie du héros, au troisième acte, passera au moins autant par sa voix que par cet orchestre démiurge. Et aucun autre Roi Marke ne saura, comme Kurt Moll, offrir une telle beauté de timbre au Monologue, plein de murmures et d’effroi. Une Liebestod en pleine lumière, enfin, couronne ce Tristan et Isolde inclassable, parfaite version pour découvrir le chef-d’œuvre wagnérien.

Palmarès

N°1 : Version F
René Kollo, Margaret Price, Brigitte Fassbaender, Kurt Moll,
Chœurs de la Radio de Leipzig, Staatskapelle de Dresde,
Carlos Kleiber, dir.
DG (1982)

N°2 : Version D
Ramón Vinay, Martha Mödl, Ira Malaniuk , Ludwig Weber,
Chœurs et Orchestre du Festival de Bayreuth,
Herbert von Karajan, dir.
Orfeo (1952)

N°3 : Version A
Ludwig Suthaus, Kirsten Flagstad, Blanche Thebom, Josef Greindl,
Chœurs du Covent Garden, Philharmonia Orchestra,
Wilhelm Furtwängler, dir.
Warner (1952)

N°4 : Version E
Wolfgang Windgassen, Birgit Nilsson, Christa Ludwig, Martti Talvela,
Chœurs et Orchestre du Festival de Bayreuth,
Karl Böhm, dir.
DG (1966)

N°5 : Version C
Siegfried Jerusalem, Waltraud Meier, Marjana Lipovšek, Matti Salminen,
Chœurs du Staatsoper de Berlin, Orchestre philharmonique de Berlin,
Daniel Barenboim, dir.
Teldec (1994)

N°6 : Version B
Stephen Gould, Nina Stemme, Michelle Breedt, Kwangchul Youn,
Chœurs et Orchestre de la Radio de Berlin,
Marek Janowski, dir.
Pentatone (2012)