Barbara Hannigan crée La Natura del mondo de Pascal Dusapin au Festival d’Aix

Barbara Hannigan, soprano et cheffe d'orchestre
Barbara Hannigan, soprano et cheffe d'orchestre - Photo by Marco Borggreve
Barbara Hannigan, soprano et cheffe d'orchestre - Photo by Marco Borggreve
Barbara Hannigan, soprano et cheffe d'orchestre - Photo by Marco Borggreve
Publicité

Barbara Hannigan, soprano et cheffe dont chaque prestation est une performance fascinante, a révolutionné notre approche de la musique d’aujourd’hui. Ce soir, en compagnie de Bertrand Chamayou (piano), Patricia Kopatchinskaja (violon) et Charles Sy (ténor), elle crée une oeuvre de Pascal Dusapin.

Bertrand Chamayou, piano – Charles Sy, ténor – Patricia Kopatchinskaja, violon
Bertrand Chamayou, piano – Charles Sy, ténor – Patricia Kopatchinskaja, violon
- Photos by Marco Borggreve/Warner Classics, Daniel Denino, Alexandra Muravyeva

Pascal Dusapin (1955),
Henri Duparc (1848-1933),
Olivier Messiaen (1908-1992), 

La Terre et le Ciel

Publicité

Concert enregistré le 8 juillet 2021 par France Musique à l’Hôtel Maynier d’Oppède, à Aix-en-Provence, dans le cadre du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence

Les solistes : 

Barbara Hannigan : Soprano
Charles Sy : Ténor
Bertrand Chamayou : Piano
Patricia Kopatchinskaja : Violon

Au programme : 

Pascal Dusapin, 

La Natura del mondo
pour soprano et piano (2020)
texte issu du Paradis de Dante Alighieri (La Divine Comédie, v. 1308-1320), commande du Festival d’Aix-en-Provence, création mondiale 

Henri Duparc, 

L’Invitation au voyage   pour voix et piano (1870),
poème de Charles Baudelaire 

Lamento
pour voix et piano (1883),
poème de Théophile Gautier 

Olivier Messiaen, 

La Mort du nombre (1929),
pour soprano, ténor, violon et piano,
poème du compositeur 

Chants de terre et de ciel (1938),
soprano et piano,
textes du compositeur :
I. « Bail avec Mi » (pour ma femme)
II. « Antienne du silence » (pour le jour des Anges gardiens)
III. « Danse du Bébé-Pilule » (pour mon petit Pascal)
IV. « Arc-en-ciel d’innocence » (pour mon petit Pascal)
V. « Minuit pile et face » (pour la mort)
VI. « Résurrection » (pour le jour de Pâques)  

Quatuor pour la fin du Temps (1940) :
« Louange à l’Immortalité de Jésus »,
mouvement final, pour violon et piano 

Notes de programme : 

Par Chris Murray 

Kapellmeisterin de notre temps, Barbara Hannigan est louée pour sa capacité unique à offrir de nouvelles formes de spectacle conjuguant maîtrise vocale, direction d’ensemble et présence scénique d’une rare intensité. Mais elle ne se voue pas exclusivement à l’hybridité, préférant parfois l’interprétation de rôles lyriques, le récital ou la direction d’orchestre ; et entreprenant des projets dont les thèmes chargés d’émotions ou de spiritualité sont nourris par un sens aigu de la dramaturgie.  

Dans le présent programme traversant trois siècles de musique française, elle a choisi d’associer la première exécution de La natura del mondo de Pascal Dusapin – une commande du Festival d’Aix-en-Provence donnée en première mondiale – aux œuvres d’Olivier Messiaen et de Henri Duparc, suscitant une réflexion sur la mort et l’au-delà qui tend le fil rouge du motif « terre et ciel » à travers des atmosphères tour à tour extatiques, charnelles, domestiques ou métaphysiques. 

Notons que la programmation de La Mort du nombre de Messiaen, en collaboration avec le ténor Charles Sy, ancien membre de la Résidence de chant de l’Académie du Festival d’Aix, fait partie de l’initiative Momentum : Our Future, Now, un vaste réseau de solidarité et parrainage entre musiciens et institutions fondé par Barbara Hannigan pendant l’été 2020 pour lutter contre les annulations de dates et de cachets dues à l’épidémie de Covid-19, qui ont rendu particulièrement vulnérables les projets et carrières des talents émergeants. 

Henri Duparc a écrit les treize mélodies sur lesquelles repose sa réputation entre 1868 et 1884, avant d’abandonner la composition en 1885. Fidèle élève de César Franck depuis la première heure, admirateur des innovations de Richard Wagner et grand lecteur de Dante, Duparc a su, malgré la minceur de son œuvre, renouveler la mélodie française pendant une période qui a également vu émerger les talents de Fauré et Debussy.  

Dans L’Invitation au voyage (1870), le compositeur supprime la strophe centrale du poème de Baudelaire pour rehausser ses états émotionnels en recourant à une prosodie limpide. Différentes textures se succèdent au clavier, passant d’un balancement harmonique frissonnant à la placidité d’accords plaqués, avant d’enchaîner sur un jaillissement d’arpèges, qui fait réapparaître le célèbre refrain (« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. ») sous la « chaude lumière » « des soleils couchants ». 

Un tel type d’évolution est absent de Lamento (1883), qui tourne plutôt en cycles démarqués de l’emblématique ritournelle d’ouverture, avec ses harmonies parallèles archaïsantes (« la blanche tombe ») dont la courbe mélodique en soupir évoque peut-être « le chant plaintif » de la colombe qui scande les vers de Gautier (adaptés, ici encore – Duparc ayant choisi un parcours parmi trois des six strophes). 

Olivier Messiaen a toujours été l’auteur des textes qu’il a mis en musique, à l’exception du « Sourire » (deuxième des Trois Mélodies de 1930), qui est basé sur un poème de sa mère, la poétesse Cécile Sauvage (1883-1928), dont la mort prématurée a bouleversé la jeunesse du compositeur et marqué ses premières compositions. 

La Mort du nombre (1929) et Diptyque : essai sur la vie terrestre et l’éternité bienheureuse pour orgue (1929) font partie de ces œuvres de deuil dans lesquelles l’antithèse entre la terre et le ciel est souvent convoquée. « Louange à l’Immortalité de Jésus » (1940) est un arrangement de la dernière partie du Diptyque, dont le titre primitif était Diptyque : terre et ciel. Ainsi, la dernière « louange » du Quatuor pour la fin du Temps a été conçue originellement comme une médiation sur le « ciel » puis, plus spécifiquement, sur « l’éternité bienheureuse ». 

Les Chants de Terre et de Ciel (1938) – pour partie un portrait de la vie familiale de Messiaen entouré de sa première femme, la compositrice et violoniste Claire Delbos, et de son jeune fils Pascal – ont également été donnés en première audition sous l'appellation Prismes : Six poèmes d’Olivier Messiaen. Ce premier titre suggère à la fois le statut de poète (auquel Messiaen avait pourtant tendance à résister), et le principe d’écriture par transformations que le compositeur explique dans _Technique de mon langage musical _(1944) : « Tous ces emprunts (...) seront passés au prisme déformant de notre langage, recevront de notre style un sang différent, une couleur rythmique et mélodique imprévue où fantaisie et recherche s’uniront pour détruire la moindre ressemblance avec le modèle. » 

Dans un entretien pour Le Monde (2 février 2021), Pascal Dusapin a confié sa recherche d’une musique qui a « l’air d’être improvisée », mais qui est élaborée « à partir de systèmes – les étais, comme on dit en architecture, des sous-groupes de structures permettant d’édifier un bâtiment ». À la différence d’un Messiaen qui a tant publié sur ses techniques de composition, Dusapin déclare : « Je n’en parle jamais parce que je ne veux pas être prisonnier d’une contrainte. »  

Dans La natura del mondo, anticipation fragmentaire d’un projet d’opéra, le compositeur a choisi un passage du Paradis de la Divine Comédie qui correspond à l’arrivée de Dante et de Béatrice dans le primo mobile : la demeure des anges et le générateur des mouvements de l’univers. Regardant derrière eux pour la dernière fois afin de contempler le chemin traversé, Béatrice décrit l’horlogerie céleste qui engendre le mouvement de l’univers et, avec cette action, le temps. Ce dernier regard en arrière n’est pas sans rappeler un autre, celui du mythe d’Orphée que Dusapin abordait dans son opéra Passion (créé au Festival d’Aix-en-Provence en 2008) et dans lequel Barbara Hannigan incarnait si brillamment Lei (« Elle ») : une Eurydice indépendante qui retient Orphée aux enfers. 

© Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence 

Après-concert : 

Henri Dutilleux, 

Correspondances pour voix et orchestre :
1. Gong 1 (Rainer Maria Rilke)
2. Danse cosmique (P. Mukherjee)
Interlude
3. A Slava et Galina (Alexandre Solschenizyn)
4. Gong 2 (Rainer Maria Rilke)
5. De Vincent à Théo (Vincent van Gogh) 

Barbara Hannigan : Soprano
Orchestre Philharmonique de Radio France
Esa-Pekka Salonen : Direction musicale
DEUTSCHE GRAMMOPHON 5345672 

Claude Debussy, 

Rapsodie n°1 en si bémol Majeur L 124 (116)
- pour clarinette et piano 

Nicolas Baldeyrou : Clarinette
Bertrand Chamayou : Piano
WARNER CLASSICS 0190295715809 

Heinz Holliger – Alice Fierz, 

Das kleine Irgendwas (Le Petit quelque chose) 

Patricia Kopatchinskaja : Violon et Voix
ALPHA CLASSICS ALPHA 211 

George Enescu, 

Sonate pour violon et piano n°3 en la mineur op 25 :
1er mouvement. Moderato malinconico
2ème mvt. Andante sostenuto e misterioso
3ème mvt. Allegro con brio ma non troppo mosso 

Patricia Kopatchinskaja : Violon
Mihaela Ursuleasa : Piano
NAÏVE V 5193 

Franz Schubert / transcription Franz Liszt, 

Die Schöne Müllerin (La Belle meunière) D 795 :
Der Müller und der Bach (Le meunier et la rivière) D 795 n°19 – S 565 

Bertrand Chamayou : Piano
ERATO 8256 463358 3 1 

Gérard Grisey, 

Quatre chants pour franchir le seuil :
4. La mort de l'humanité : Berceuse « J’ouvris une fenêtre »
(d’après l’Epopée de Gilgamesh) 

Barbara Hannigan : Soprano et Direction musicale
Ludwig Orchestra
ALPHA CLASSICS ALPHA 586 

Franz Liszt, 

2ème Année de Pèlerinage, Italie :
Trois Sonnets de Pétrarque (47, 104 et 123) 

Bertrand Chamayou : Piano
NAÏVE V 5260 

Maurice Ravel, 

Ma Mère l’Oye :
8. Le jardin féerique 

Orchestre Philharmonique de Berlin
Pierre Boulez : Direction musicale
DEUTSCHE GRAMMOPHON 439 859-2 

George Benjamin – Martin Crimp, 

Written on Skin (Ecrit sur la peau - extrait) 

Christopher Purves : Le Protecteur, Baryton
Barbara Hannigan : Agnès, sa femme, Soprano
Bejun Mehta : Ange 1 / Le Garçon, Haute-contre
Rebecca Jo Loeb : Ange 2 / Marie, Mezzo-soprano
Allan Clayton : Ange 3 / Jean, Ténor
Orchestre de Chambre Mahler
George Benjamin : Direction musicale
NIMBUS NI 5885/6 

À réécouter : Archives Barbara Hannigan
Le concert de 20h
59 min
Soirée exceptionnelle France Musique
1h 57
Carrefour de Lodéon Acte 2
1h 58
28 min

L'équipe