Le Phono Museum menacé de fermeture

France Musique
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Ouvert en septembre 2014, le Phono Museum à Pigalle est menacé de disparition. Des tout premiers phonographes, à l'arrivée du mp3 en passant par les gramophones et les tournes disques,ce petit musée parisien retrace 140 ans de l'aventure du son. Mais faute de moyens, à cause d'une subvention qui n'est jamais arrivée, le lieu pourrait fermer ses portes.

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Si l'on ne fait pas bien attention, on pourrait confondre cette devanture du boulevard de Rochechouart à Pigalle avec un magasin de musique ou de souvenir. Il s'agit pourtant bien d'un musée : le Phono Museum, la grande aventure du son enregistré. Jalal Aro, le maître des lieux, gapette sur la tête et favoris savamment taillés, est ce qu'on appelle un véritable passionné. Il a débuté en tant que collectionneur, et de pavillons en aiguilles de phonographes, il a monté une association et ouvert le musée en 2014.

Il est absolument incollable et intarissable sur les 250 appareils exposés. "Savez-vous que dès le début, les appareils étaient électrifiés ? Ce n'est que plus tard, lorsque les ventes ont commencé à s'accélere, que les inventeurs ont créé des machines mécaniques qu'il fallait remonter avec une manivelle. A la fin du 19e siècle, trop peu de gens avaient l'électricité ", dit-il avec les yeux qui brillent.

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Une phonographe créé par Henri Couly, similaire à celui inventé par Thomas Edison en 1877. La tête de lecture est posée sur un cylindre en bakélite. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)
Une phonographe créé par Henri Couly, similaire à celui inventé par Thomas Edison en 1877. La tête de lecture est posée sur un cylindre en bakélite. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)

La visite débute avec une machine parlante - comme on les appelait - de 1892, similaire à celle inventée par Thomas Edison, le pionnier avec son phonographe de 1877. Jalal nous fait entendre un poème en anglais enregistré en 1895 et gravé sur un cylindre de bakélite. L'appareil en question était destiné à être exposé dans les foires et les fêtes foraines. Les badauds payaient pour écouter le son grâce à des casques qui ressemblent à des stétoscopes. Juste à côté, un phonographe imposant à double pavillon pour sonoriser les bals, encore â côté un phonographe un peu plus récent grand comme une commode. Le pavillon a disparu, le son sort du meuble et pour moduler le volume, on ferme plus ou moins les portes. C'est ce qui fait le charme du Phono Museum, découvrir des appareils qui ont plus d'une centaine d'années et qui sont tous en parfait état de fonctionnement. C'était ce qui importait à Jalal Aro et aux membres de son association : proposer un lieu d'histoire mais vivant.

"Imaginez le nombre de personnes qui ont pu écouter ce disque par exemple ? Et ce n'est pas fini, nous en profitons, les générations futures en profiteront. Alors qu'aujourd'hui lorsque vous téléchargez des mp3, il n'est même pas certain que vos enfants sauront les lire. C'est certainement ce qui explique le retour du disque vinyle. Les gens ont besoin d'acheter quelque chose de physique, quelque chose qu'on puisse conserver " explique Jalal.

"Comme la plume au vent" traduction en français de La Donna è mobile issu de Rigoletto de Verdi, 1904

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Le Phono Museum, ce ne sont pas que des appareils historiques exposés. Ce sont aussi d'importantes archives, des milliers d'enregistrements, des disques, des cylindres, des bandes audios, etc. Mais aussi des documents, des photos, des affiches. Tout est consultable pour le grand public. C'est d'ailleurs ce que fait régulièrement le rocker britannique Jarvis Cocker. Voisin du musée, le chanteur de Pulp a lancé un appel pour sauver le lieu. Le musée loue régulièrement des appareils pour les tournages de film : Inglorious Basterds de Tarantino, *Minuit à Paris * de Woody Allen, Marguerite de Xavier Giannoli, etc.

Un phonographe à double pavillon pour créer une "fausse stéréo". L'appareil était utilisé dans les salles de bal. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)
Un phonographe à double pavillon pour créer une "fausse stéréo". L'appareil était utilisé dans les salles de bal. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)

Il est fascinant de se rendre compte des innovations perpétuelles. Tous les 10 ans, une nouvelle machine sortait, toujours plus performante, des supports audio de meilleure qualité, des techniques d'enregistrements optimisées. Il est églament étonnant d'apprendre qu'à l'orgine tout cela n'avait pas été créé pour écouter de la musique mais pour améliorer le secrétariat. C'est d'abord le dictaphone qu'on a inventé, son usage pour la musique est arrivé plus tard, presque accidentellement.

"Ce sont les forains qui se sont rendus compte qu'ils pouvaient réenregistrer par-dessus les cylindres. Ils appelaient alors des copains pour pousser la chansonnette et les enregistrer pour les revendre sous le manteau. Le piratage n'est pas quelque chose de récent. Dès le début de l'histoire du son enregistré, les industriels ont tenté de trouver des parades pour lutter contre. C'est ainsi qu'ils ont sorti le cylindre verrouillé sur lequel on ne pouvait plus enregistrer ", précise Jalal.

Une vieille chanson de cabaret enregistrée au tout début du XXe siècle.

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En retraçant 140 ans d'histoire, le musée expose également les techniques des industriels pour gagner toujours plus d'argent. "Outre les avancées technologiques, la quête ultime c'est toujours plus d'argent. Tous les dix ans, les industriels annonçaient un nouvel appareil révolutionnaire. Evidemment, les qualités audio étaient améliorées, mais c'est surtout sur le design qu'on insistait. Si vous aviez une décoration arts déco et un appareil art nouveau, ça ne collait plus ".

Le phonographe inventé par les frères Lumière, le pavillon est remplacé par une membrane papier. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)
Le phonographe inventé par les frères Lumière, le pavillon est remplacé par une membrane papier. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)

L'appareil le plus récent du musée est un ordinateur Macintosh. A lui tout seul, il symbolise toutes les dernières avancées technologiques : le mp3, le streaming, etc. A côté de tous ces appareils incroyablement beaux, cela peut paraître presqu'un peu triste. Mais c'est ce qui conforte Jalal Aro dans l'idée que son musée est d'un intérêt vital. "Cela renforce la mission de l'association. On explique ce qui s'est passé et comment on en est arrivé là. Ce qui est extraordinaire avec la modernité, c'est la disponibilité de l'information. Une personne qui va entendre parler d'une chanteuse du début du 20e siècle et qui cherche à écouter ses enregistrements va pouvoir l'entendre grâce à une autre personne qui a numérisé les disques. Il y a encore une quinzaine d'années, c'était impossible " relativise Jalal.

Mais voilà, l'association se heurte à un problème de taille : le montant du loyer. Le local appartient à Paris Habitat, le premier bailleur social d'Ile-de-France et le Phono Museum a déjà accumulé 52 000 euros de dettes. Jalal Aro reconnaît avoir manqué d'expérience au début du projet. Le musée a ouvert ses portes en espérant une subvention de la mairie de Paris, subvention qui était en bonne voie mais qui n'a finalement pas été validée. Trop tard, le musée était déjà ouvert et le tribunal de grande instance a été saisi par Paris Habitat pour loyer impayé. Mais Jalal Aro ne desespère pas, il a lancé un appel au financement participatif sur la plateforme Ulule. 30 000 euros ont déjà été récoltés et les choses vont bon train. Des discussions ont lieu avec la mairie du 9e arrondissement et la mairie de Paris. Une aide pourrait être décidée dans les prochains jours. Mais le meilleur moyen d'aider le musée est d'aller le visiter. Le musée colle tout à fait à l'esprit du quartier, Pigalle, la belle époque, les cabarets. Un lieu insolite, passionnant et ludique qu'il serait dommage de voir disparaître.

Le Phono Museum, la grande aventure du son enregistré. 53, boulevard de Rochechouart – 75009 Paris. Ouverture du jeudi au dimanche de 14h à 18h. Tarif : 10 euros.

Le célèbre chien de la "Voix de son maître". (© Victor Tribot Laspière / France Musique)
Le célèbre chien de la "Voix de son maître". (© Victor Tribot Laspière / France Musique)

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