Confrontés à la baisse des subventions, taxés d'élitisme ... Les conservatoires sont dans la tourmente et il faut aujourd'hui avoir une solide volonté pour avoir envie d'en diriger un. Pourtant, le Cnsm de Paris vient d'ouvrir la phase de recrutement pour sa prochaine session de formation diplômante à ce métier, et - surprise ? - il y a de plus en plus de candidats : une centaine pour la prochaine session, contre 80 pour la précédente et 70 pour celle d'avant. Qui sont ces musiciens, comédiens, danseurs qui veulent devenir directeurs ? Avant tout des passionnés qui souhaitent faire bouger les lignes.
Catherine Imbert a 32 ans. Elle est pianiste, enseigne en conservatoire depuis 4 ans, se produit régulièrement en musique de chambre et suit déjà au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (Cnsmdp) la formation diplomante au CA (certificat d'aptitude) en piano. Autrement dit, sa vie est bien remplie. Pourtant, elle a décidé de se lancer un nouveau défi : devenir directrice de conservatoire.
"* L'envie m'est venue avec la pratique de l'enseignement"*, explique-t-elle. *" Car diriger un conservatoire, c'est gérer des équipes, fédérer des énergies, construire des projets transversaux, travailler avec de nombreux interlocuteurs ..."* Mais
les difficultés actuelles ne lui font pas peur ? " C'est l'inverse ! ", répond-elle en souriant :"Ce contexte difficile nous oblige à être inventifs, à nous remettre en cause, car si on ne bouge pas, ça risque vraiment de mal se passer pour la Culture et l'enseignement en conservatoire ..." Que faut-il faire ? Catherine Imbert y pense déjà beaucoup : *"essayer d'amener la musique dans la Ville, faire en sorte que le conservatoire rayonne, que les gens se rendent compte qu'il fait partie de leur ville , que c'est un lieu de vie fondamental ". *
Une formation pour accompagner l'évolution du métier
Evidemment il ne suffit pas d'avoir des idées, ni même des convictions. Si Catherine Imbert est sûre de sa motivation, elle est sûre, aussi, de la difficulté de cette profession. C'est pourquoi elle souhaite intégrer la prochaine session de formation au métier de directeur proposée depuis 2007 par le Cnsmdp. Le processus de recrutement vient de débuter avec les inscriptions en ligne, plusieurs épreuves suivront jusqu'au mois de décembre prochain. " Avant 2007, il n'existait pas de formation spécifique", explique Serge Cyferstein, responsable du département pédagogie au Cnsmdp. Les directeurs de conservatoires étaient choisis parce qu' ils étaient des grands professeurs, des chefs d'orchestre, des compositeurs, parce qu'ils avaient une vision pédagogique globale ... et le courage de se lancer. Des oiseaux rares, difficiles à recruter. C'est d'abord pour tenter de mettre fin à la pénurie que le Conservatoire de Paris a décidé de créer une formation, mais le but était aussi de prendre en compte la nécessaire évolution des pratiques. *" Le terrain de l'enseignement spécialisé (puisque c'est le nom que l'on donne à l'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre dans la sphère publique), est un terrain qui est en évolution extrêmement rapide * ", explique Serge Cyferstein.* " Il est même en questionnement de la part des élus, des décideurs, et des citoyens tout simplement ! On peut se dire : mais après tout est-ce intéressant d'avoir une formation si complète , si onéreuse, pour une fraction de la population qui est quand même assez limitée ? Est-ce que l'on ne fait pas que former les élites ? Toutes ces questions demandent à ce que les directeurs de conservatoires s'en emparent, proposent des modèles alternatifs, c'est-à-dire qu'ils sortent du conservatoire qui prévalait jusque dans les années , 1970, jusqu'à Landowski, où l'on avait des professeurs dans des salles de cours , enfermés, et rien d'autre." *
- Ecoutez l'interview en longueur de Serge Cyferstein, sur la raison d'être de la formation au métier de directeur de conservatoire proposée par le Cnsmdp :
Serge Cyferstein, responsable du département pédagogie du Cnsmdp
4 min
Frédéric Merlo a fait partie de la dernière promotion de directeurs formés au Cnsmdp. Lui, est comédien, il est responsable du département théâtre au conservatoire du Kremlin Bicêtre, au sud de Paris, et vice-président de l'association nationale des professeurs d'art dramatique. Il enseigne depuis plus de vingt ans, et s'il a eu envie de devenir directeur, c'est aussi pour faire bouger les lignes.*"Il y a une partie un peu militante, dans cette envie-là ", * précise-t-il.* " C'est aussi de vouloir modifier un tout petit peu l'apprentissage de la musique. C'est de considérer que, pour le moment, les musiciens en scène sont peut-être encore trop attachés à la technique instrumentale, à la technicité de leur art, et pas assez à la relation avec le public, à la relation .. avec la scène !* " Frédéric Merlo a obtenu son CA de directeur en 2013, mais il attend de trouver le poste qui lui conviendra pour candidater. "Pas forcément un poste de directeur", explique-t-il. "Ca peut être directeur adjoint, ça peut être aussi créer des postes qui n'existent pas encore, comme 'responsable de l'innovation et de la transversalité, par exemple." Pour le moment, les comédiens sont largement sous-représentés chez les directeurs, tout comme les danseurs. Mais cela aussi, évolue. Deux danseurs ont été formés au Cnsmdp est sont aujourd'hui directeurs : l'un du Conservatoire à Rayonnement Régional de Lille, l'autre du Conservatoire du 5ème arrondissement de Paris.
"Avoir un véritable sens des relations humaines"
Musique, théâtre, danse ... Un directeur de conservatoire doit évidemment être excellent dans son domaine. Mais ce n'est que l'une des qualités requises, explique Jean-François Boukobza. Professeur d'analyse et d'esthétique, il intervient régulièrement dans la formation des directeurs au Cnsmdp. Pour lui, les directeurs doivent aussi être *"des personnes impliquées et intéressées par les politiques de la Ville. Aujourd'hui, il faut véritablement tenir compte des zones défavorisées, des quartiers sensibles. Il faut bien sûr s'intéresser à l'éducation, apprendre à travailler avec les écoles, apprendre à travailler avec un tissu associatif, avec différentes institutions culturelles. Il faut être une personne de Culture, et évidemment, * en premier lieu, il faut un véritable sens des relations humaines. " Voilà pour le portrait-robot ! En deux sessions (2007-2009 et 2011-2013), une vingtaine de directeurs ont été formés au Cnsmdp, autant d'hommes que de femmes, avec une moyenne d'âge de 41-42 ans. Cette formation reste bien sûr l'une des voies possibles pour devenir directeur. Pour évoquer la réalité de ce métier au quotidien, l'invité de la matinale est Jean-Luc Tourret, directeur du Conservatoire à Rayonnement Régional de Rueil-Malmaison, dans les Hauts de Seine.
Par Chloë Cambreling
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