Secteur méconnu, le marché de l'édition musicale des partitions rencontre les mêmes difficultés que ceux du livre ou de la musique enregistrée. A l'ère de la transition vers le tout numérique, comment se porte ce secteur en France? Les usages des musiciens amateurs ont-ils changé?
Invité: Jacques Borsarello, altiste et auteur de nombreuses méthodes pédagogiques. Il a signé une tribune en faveur d'une révolution numérique dans la Lettre du musicien.
De près ou de loin, nombre de français ont entretenu à moment de leur vie un rapport avec la partition. Les cours de musique à l'école ou au collège, l'apprentissage d'un instrument ou du solfège... Le professeur demandait une partition ou méthode spécifique et l'élève s'exécutait en se rendant dans la librairie musicale la plus proche ou en la commandant par téléphone à des magasins plus importants.
Mais il semble un peu révolu ce temps depuis le bouleversement déclenché par l'arrivée d'internet et de sa révolution numérique. Désormais, deux ou trois clics suffisent à télécharger n'importe quelle sonate de Mozart ou nocturne de Chopin, et ce, de manière on ne peut plus légale. Les compositeurs qui ont la côte parmi les amateurs sont depuis longtemps tombés dans le domaine public et les nombreuses versions disponibles sont légion sur la toile.
C'est donc tout un pan de ce qui fait ou plutôt faisait le métier d'éditeur musical qui est en train de disparaître. Pierre Lemoine a constaté un tournant dans les années 2011/2012 avec une baisse significative des ventes. A la tête des éditions Henry Lemoine et aussi président de la Chambre syndicale des éditeurs de musique de France ( CEMF), le quinquagénaire explique que depuis les années 50, la partition "urtext", c'est-à-dire proche de la version originale créée par le compositeur, faisait les grandes heures des éditeurs européens, et surtout allemands, dont il est le représentant en France.
"Depuis deux ou trois ans, nous avons senti que l'usage des amateurs face à ces partitions s'est modifié. Pourquoi payer quand on peut obtenir tout ce qu'on veut gratuitement et immédiatement. Ce changement s'est fait ressentir par une baisse significative des ventes, de l'ordre de 6 à 8% par an " analyse Pierre Lemoine.
Seul atout qui reste dans le camp des éditeurs: la qualité de leur savoir-faire. "Acheter une partition chez un éditeur, c'est tout d'abord avoir l'assurance d'obtenir une partition au plus proche du texte original, sans erreur. C'est aussi, la qualité de l'impression, du format pour un meilleur confort de lecture ou tout simplement du papier. Ce n'est pas très pratique d'imprimer d'imprimer sur des feuilles A4 la totalité d'une oeuvre."

La musique classique n'est pas le seul style à être touché par cette crise. Les ventes de partitions de variété sont aussi concernées avec une baisse de 30% alors qu'il y a 15 ans, la variété représentait la moitié du chiffre d'affaires. Seul bastion qui résiste: les méthodes. Apprentissage d'un instrument, solfège, tout ce qui touche à la pédagogie, ainsi que les compilations qui rassemblent différentes pièces.
Les maisons d'éditions peuvent aussi compter sur leur catalogue de compositeurs contemporains. Elles louent les partitions aux orchestres et touchent aussi des droits sur l'exécution publique ou sur l'enregistrement des oeuvres. Pierre Lemoine se bat donc pour continuer à faire tourner cette vieille entreprise créée en 1772 et dirigée par les membres de la même famille depuis sept générations.
Ce bouleversement touche également les marchands de partitions. Depuis quelques années, le permier client des éditions Henry Lemoine est devenu le géant Amazon. Le deuxième client est La Flûte de Pan. Tous les musiciens connaissent cette librairie musicale parisienne, leader français de la vente de partitions, fondée à la fin du 19e siècle. Une société qui vend près de 200 000 partitions par an et qui emploie 25 personnes.
Depuis 2011/2012, les ventes ont aussi baissé de manière significative. Une partition qui se vendait à 60 exemplaires ne se vend plus qu'à 25 exemplaires. Mais la librairie a su s'adapter à la vente de partitions sur internet, dont le chiffre d'affaires dépassera bientôt celui des articles vendus en magasin.
La Flûte de Pan planche aussi sur un modèle viable pour vendre des partitions numériques. Martine Joulié, la président de la société pense que la version papier a encore de belles années devant elle. "Au même titre que pour le livre, je crois que les gens resteront attachés au rapport avec le papier. Nous devrions assister à la mise en place d'un modéle où l'achat d'une partition physique sera couplé avec une version numérique. Mais pour cela, il faudra attendre de pouvoir bénéficier de tablettes plus grandes par exemple. Celles qui existent actuellement sont trop petites pour un usage confortable. "
Ce modèle est d'ailleurs sur le point de voir le jour puisqu'il est actuellement développé par une start-up begle. NeoScores, fondée par un ancien musicien de l'Orchestre philharmonique de Bruxelles et dont l'innovation a été récemment distinguée par un deuxième prix de l'innovation la plus prometteuse du monde lors d'un sommet à Séoul. Il s'agira d'une sorte de "Itunes" pour partitions. Une bibliothèque virtuelle dans laquelle on accèdera à tous ses fichiers numériques, sur lesquels ont peut écrire des annotations avec son doigt ou un stylet. Reste encore à savoir si les éditeurs sont tous prêts à vendre leur partitions dématérialisées, c'est à dire en perdant encore un peu plus le moyen de contrôler leur usage.
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