Claude Debussy et le Children's Corner, épisode 2 : Pourquoi des titres en anglais ?

Claude Debussy, par Nadar vers 1908 / Edgar Allan Poe en 1849
Claude Debussy, par Nadar vers 1908 / Edgar Allan Poe en 1849
Claude Debussy, par Nadar vers 1908 / Edgar Allan Poe en 1849
Claude Debussy, par Nadar vers 1908 / Edgar Allan Poe en 1849
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La deuxième enquête musicale de Claude Abromont se penche sur le cas de Claude Debussy et de son recueil pour piano The Children’s Corner. Episode 2 : Pourquoi des titres en anglais ?

Le projet inabouti d’écrire un opéra sur la Chute de la maison Usher d’après une nouvelle d’Edgar Poe nous permet d’entrer de plain pied dans l’univers anglophile Debussyste. Cet univers n’est d’ailleurs pas lié qu’à des œuvres. Il y a aussi des lieux que Debussy aimait fréquenter. Je ne pense pas ici à la célèbre Taverne Weber où il rencontre Marcel Proust. Cette taverne a été fréquemment commentée. Notamment l’anecdote qui veut que, charmé par la personnalité de Debussy, Proust lui aurait un jour proposé d’organiser une réception en son honneur. Debussy aurait répondu :

« Excusez-moi, en réalité je ne suis qu’un ours. Peut-être vaut-il mieux continuer de nous rencontrer par hasard, comme nous l’avons fait jusqu’ici ».

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Des lieux et...

On a également abondamment décrit le Chat noir à Montmartre où Debussy aimait entendre Erik Satie jouer du piano. C’est un second lieu devenu mythique...

Mais celui qui correspond au versant anglophile de Debussy est le Reynolds, rue Royale. Il s’agit d’un bar américano-irlandais. Ce fut un des lieux préférés de Toulouse-Lautrec. Dans une de ses fameuses affiches, le peintre a représenté Tom, le cocher des Rothchild, en train de se faire servir à boire. On pouvait croiser dans ce bar ceux que Debussy nommait « les gens à carreaux ». Il faisait référence au tweed de leurs vêtements. Dans ce bar se fréquentaient des lads, des jockeys, des entraîneurs, des cochers anglais… et on buvait plus que de raison. Il y venait aussi la chanteuse May Belfort qui avait coutume de cultiver son fameux zozotement en interprétant les derniers succès à la mode du Music-hall. Et il y avait surtout le fameux clown Footit et sa victime désignée, le malheureux Chocolat, d’où vient d’ailleurs l’expression « être chocolat ». Debussy adorait cette ambiance. Il se sentait à son aise dans un environnement proche de l’univers du cirque. Musicalement, il l’a retracé dans des Préludes comme Minstrels ou General Lavine Eccentric. Lors de la fin du Children’s Corner, il nous y entraîne.

...des poètes

Voilà donc l’une des sources de l’anglais des titres. Mais elle est loin d’être la seule. La seconde est liée à deux poètes. Saviez-vous que Mallarmé, dont Debussy fréquentait les « Mardis », s’était mis à l’anglais pour pouvoir traduire les poèmes d’Edgar Poe, notamment le fameux Corbeau ? Cela a d’ailleurs permis au poète français de gagner sa vie en tant que professeur d’anglais. Et au passage de recevoir sur la tête une flopée de boulettes de papier mâché de la part d’élèves indisciplinés.

Debussy, lui aussi, adore Edgar Poe. Et à l’époque de l’écriture du Children’s Corner, il ne travaille pas que sur la Chute de la maison Usher, mais aussi sur le Diable dans le beffroi. Cette-fois, nous ne disposons que du livret, mais le projet originel laisse rêveur. Debussy avait songé à un rôle de diable qui aurait seulement été sifflé et qui se serait passé au milieu des habitants d’un village dénommé, si l’on suit la traduction de Baudelaire, Vondervotteimittis. Ceux-là n’auraient fait que murmurer.

Pour Chouchou

Pour poursuivre avec la décidément formidable anglophilie de Debussy, une autre de ces facette est révélée par la dédicace du Children’s Corner : à sa « chère petite Chouchou, avec les tendres excuses de son Père pour ce qui va suivre. » Oui, la raison la plus profonde de son choix est sans aucun doute l’envie de transmettre sa passion pour la langue anglaise à sa fille. Les murs de la chambre d’enfant étaient tapissés de gravures anglaises et il avait choisi comme nurse une Anglaise, la charmante Miss Dolly. Il ne faut pas s’étonner que Debussy se plaigne ensuite, dans plusieurs lettres, que sa Chouchou s’est mise à parler un étrange patois anglo-français. Dans un tel contexte, quoi de plus normal que d’aller jusqu’au bout et de donner des titres anglais à ce recueil pour enfants ?

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