Frédéric Chopin et ses Préludes, épisode 1 : Pourquoi 24 préludes ?

Frédéric Chopin en 1849, par Louis-Auguste Bisson (photographe) / Jean-Sébastien Bach
Frédéric Chopin en 1849, par Louis-Auguste Bisson (photographe) / Jean-Sébastien Bach ©Getty
Frédéric Chopin en 1849, par Louis-Auguste Bisson (photographe) / Jean-Sébastien Bach ©Getty
Frédéric Chopin en 1849, par Louis-Auguste Bisson (photographe) / Jean-Sébastien Bach ©Getty
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Les enquêtes musicales de Claude Abromont, Frédéric Chopin et ses Préludes, épisode 1 : Pourquoi 24 préludes ?

Les 24 Préludes de Chopin sont comme vingt-quatre stations de l’âme, comme l’a joliment écrit Jean-Yves Clément. Ce cycle de Chopin a été achevé dans un cadre enchanteur. Il l’annonce dans une lettre : « Je vais probablement habiter un cloître merveilleux dans le plus beau site du monde : j’aurai la mer, les montagnes, des palmiers, un vieux cimetière, une église teutonique, les ruines d’une mosquée, des oliviers millénaires ».

George Sand tente à cette époque de semer un ancien amant et le couple s’est enfui fin octobre 1838. À Barcelone, un peu en cachette, ils ont récupéré les deux enfants de George Sand, Maurice et Solange. En novembre, ils accostent à Majorque et ils y restent jusqu’à février 1839. Ils disposent d’un peu d’argent car Frédéric Chopin a touché une avance sur ses préludes. Ils lui ont été commandés par Camille Pleyel. George Sand, quant à elle, a été payée pour des articles qu’elle a écrits pour la Revue des deux mondes.

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Chopin est-il heureux dans un tel cadre ? En décembre, il écrit à un ami : « le ciel est aussi beau que ton âme ; la terre est noire comme mon cœur ». Ces contrastes, mêlés de visions, voire d’hallucinations, sont au cœur de cet ensemble de « plumes d’aigle » comme Robert Schumann a désigné ces préludes, un ensemble d’une variété infinie !

Le n°11 en si majeur, par exemple, écouté en entier peut paraître court. La moitié des préludes font en effet moins d’une minute. Mais ils déploient à chaque fois tout un univers. Avec des idées, des mouvements d’atmosphère. Dans le prélude que nous venons d’évoquer, je défie qui que ce soit d’imaginer la fin à partir du début. Chopin a commencé de façon très instrumentale, un peu comme pour une charmante danse, mais il termine de façon vocale, cette fois comme pour un récitatif.

Chopin a-t-il un modèle en tête ? On sait qu’il était un immense admirateur de Bach. La seule partition qu’il a emportée à Majorque était le Clavier bien tempéré. Dans ce recueil il existe également des préludes. Mais, chez Bach, ils préludent à des fugues. Chopin lui, ne prélude à rien, il propose seulement des esquisses, des miniatures...

Mais sur ce terrain, on peut trouver quelques prédécesseurs, par exemple Clementi et ses Préludes et exercices dans tous les tons, Hummel et ses Préludes avant le début d’un morceau dans tous les tons, Cramer et ses 36 préludes ou courtes introductions dans les principaux tons, etc. Il existe également un recueil de préludes de Zbior Würfel, le compositeur qui a initié Chopin, alors qu’il était encore en Pologne, à la pratique de l’orgue. Malheureusement, aucune bibliothèque en Pologne ne semble posséder cette partition. Un jour, peut-être les découvrira-t-on…

Contrairement à ces exemples, Chopin ne veut pas écrire des exercices, enseigner l’art d’introduire à une musique, il propose au contraire des créations abouties. Mais forment-elles véritablement un cycle ?

Il semblerait que Chopin n’aie jamais joué tous les préludes enchaînés. Uniquement une fois, en concert, le 26 avril 1841, il en a joué quatre.

Le chiffre vingt-quatre n’offre aucun mystère en lui-même : c’est celui qui correspond à l’ensemble des tonalités possibles, majeures et mineures. Et c’est bien sûr le nombre des préludes et fugues qui composent chaque livre du Clavier bien tempéré. Toutefois Bach les enchaîne en montant par degrés chromatiques. Comme quelqu’un qui se chaufferait la voix, et qui chanterait progressivement de plus en plus aigu. Chopin, au contraire, imagine un ordre subtil. Il enchaîne ses préludes par proximité tonale. Dit de façon technique, il va au relatif mineur, puis à la quinte supérieure. L’intérêt de cette organisation est immense : la fin d’un prélude peut ainsi annoncer les notes du prélude suivant ! Et donc, cela offre un cycle à géométrie variable. On peut alors se permettre toutes les expériences : soit jouer quelques préludes enchaînés, soit tous les 24, ce qui se fait de plus en plus souvent, et qui produit un effet exceptionnel.

Mais il est possible de se livrer à une expérience différente : écouter la fin du n°3, un prélude rapide en sol majeur qui se présente comme une grande guirlande déployée, puis l’enchaînement de ce prélude avec le n°4 en mi mineur, peut-être le plus célèbre d’entre eux. Le grand public le connaît aussi dans sa version Gainsbourg...

L’intérêt de cette expérience ? Lorsqu’on écoute attentivement, on découvre que les notes qui terminent le n°3 sont aussi celles qui ouvrent le n°4...

Programmation musicale :

Frédéric Chopin
Prélude en ut maj op. 28 n°1 image
Maria Joao Pires, piano
ERATO
Frédéric Chopin
Prélude en si maj op. 28 n°11
Martha Argerich, piano
DGG
Frédéric Chopin
Préludes en sol maj et en mi min op. 28 n°3 et n°4
Samson François, piano
EMI

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