Bill Evans, les inédits de Buenos Aires en 1973 et 1979

• Bill Evans à la Une

Des enregistrements étonnants comprenant la première sortie officielle de “Morning Glory”, un concert de 1973 avec Eddie Gomez et Marty Morell, et “Inner Spirit”, un rendez-vous de 1979 avec Marc Johnson et Joe LaBarbera, sont publiés sur CD le 23 avril et en téléchargement numérique le 29 avril.

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Les livrets comprennent des photos rares des concerts, des entretiens avec les musiciens, des textes de Marc Myers et Claudio Parisi, et des observations des pianistes Richie Beirach et Enrico Pieranunzi. Ces deux sorties, avec l’accord des héritiers de Bill Evans, portent à sept les albums issus des concerts du pianiste publiés chez Resonance.

“ Morning Glory” a été enregistré au Teatro Gran Rex de Buenos Aires le 24 juin 1973, avec les deux musiciens restés le plus longtemps au côté de Bill Evans, Eddie Gomez et Marty Morell. “ Inner Spirit” documente le concert donnéau Teatro General San Martin de la même ville le 27 septembre 1979 avec l’ultime trio de Bill Evans, qui comprenait Marc Johnson et Joe LaBarbera.

Les deux albums ont été préparés à partir des bandes originales enregistrées par le regretté ingénieur Carlos Melero (dont les souvenirs de 2008 sur les concerts sont inclus dans le livret). Zev Feldman - coprésident de Resonance (avec le fondateur George Klabin), producteur et "jazz detective" de renommée internationale - déclare : " Ces bandes nous sont parvenues en 2018 grâce au journaliste musical argentin Roque Di Pietro, qui m'a contacté et expliqué l'existence des enregistrements de Carlos Melero. J'avais su qu'ils étaient disponibles sous forme de disques pirates, alors George et moi avons sauté sur l'occasion de réparer une fois de plus les erreurs du passé, et de publier officiellement ces deux concerts avec le soutien de la famille de Bill Evans. Nous avons eu la chance de pouvoir interviewer les musiciens de chaque trio pour les livrets, ainsi que deux icônes du piano qui connaissaient et respectent beaucoup Bill Evans : Richie Beirach et Enrico Pieranunzi".

Des notes supplémentaires ont été rédigées par Claudio Parisi, spécialiste du jazz argentin et auteur de l'histoire “Grandes del jazz internacional en Argentina (1956-1979)”, et Marc Myers, spécialiste de Bill Evans, dont les notes ont déjà été publiées sur les albums “Some Other Time” (2016), “Another Time” (2017) et “Evans in England” (2019) de Resonance. Les coffrets comprennent également de nombreuses photographies inédites des concerts du batteur argentin Ángel Alberto "Tito" Villalba.

Le concert de 1973 entendu sur “Morning Glory” s’est déroulé à 10 heures du matin en raison de sa programmation de dernière minute. C’est le premier de Bill Evans dans le pays. Ce concert se déroule dans une atmosphère de tumulte extrême : l'ancien dirigeant Juan Perón venait tout juste de rentrer au pays après 18 ans d'exil en Europe et l'Argentine était en éruption.

Eddie Gomez se souvient dans les notes : "À cette époque, toute la région était agitée. En Argentine, Juan Perón venait de rentrer d'exil, ce qui a provoqué des violences dans les rues. Il y avait beaucoup de turbulences politiques et cette agitation ajoutait au sentiment qu'en étant dans ce théâtre à cette époque, c'était comme si vous étiez dans un film des années 40. La tension était palpable."

Marty Morell ajoute : "Nous sommes arrivés à Buenos Aires quelques jours après le retour de Perón... Sur le trajet entre l'aéroport et l'hôtel, on pouvait voir que toutes les routes étaient jonchées de détritus. Des millions de personnes étaient sorties pour accueillir le retour de Perón. Il y avait beaucoup d'agitation politique à cette époque. C'était quelques mois avant le coup d'État au Chili où Allende a été renversé et tué. Il y avait des troubles dans toute l'Amérique du Sud à cette époque, c'était donc un moment historique pour être là."

Malgré le climat politique lourd, le concert a été un triomphe pour Bill Evans, comme en témoignent les enregistrements. Il a aussi été marqué par l'interprétation surprise d'un boléro, Esta tarde vi llover, du célèbre compositeur latino-américain Armando Manzanero.

Le professeur argentin Oscar Daniel Chilkowski, qui était présent, a raconté à Parisi : "Le public a applaudi avec tant de passion qu'il ne voulait pas partir et le trio a joué trois rappels. Lorsque la partie principale du programme s'est achevée, je me suis retrouvé à pleurer comme beaucoup d'autres dans le public. Nous pleurions parce que nous pensions que Bill Evans était sorti pour la dernière fois pour tirer sa révérence. Mais nous avons tous été surpris et ravis lorsqu'il est revenu et s'est assis au piano pour nous en donner encore plus."

“Inner Spirit” représente l'un des premiers enregistrements du dernier trio de Bill Evans, avec le bassiste Marc Johnson et le batteur Joe LaBarbera, tous deux anciens du groupe de Woody Herman. Leur travail derrière le pianiste a fait l'objet d'une série d'enregistrements live remarquables et intenses capturés avant la mort du maître pianiste en septembre 1980. Il s'agit également de sa dernière apparition dans le pays.

Une fois de plus, Bill Evans et son groupe débarquent dans une contexte plein d'incertitudes, car un coup d'État militaire en 1976 a renversé le régime d'Isabel Perón, qui avait pris le pouvoir après la mort de son mari en 1974. Marc Myers écrit : "En 1979, l'Argentine était également plongée depuis trois ans dans sa tristement célèbre "sale guerre", au cours de laquelle les escadrons de la mort d'extrême droite ont assassiné des milliers de dissidents politiques et de personnes soupçonnées d'être des péronistes. Buenos Aires était devenue une ville d'ombres, de peur et de malaise".

Joe LaBarbera a déclaré à Marc Myers : "C'était une sale période là-bas, sur le plan politique. Il y avait des tensions avec la présence militaire dans les rues de Buenos Aires, mais les gens que l’on croisait et les musiciens que nous avons rencontrés étaient toujours joyeux et excités d'entendre Bill."

Les musiciens ont répondu par une performance extatique et engagée, typique de leur bref parcours commun. Encore une fois, Bill Evans a apporté une touche latine à son répertoire de concert, avec l'ajout de Minha, une composition du compositeur brésilien Francis Hime qu'il avait enregistrée quatre ans auparavant. Il a également joué des pièces récemment ajoutées à son répertoire comme Letter to Evan, un nouveau morceau joué en solo et dédié à son fils, et Theme From M*A*S*H. Le point culminant du concert a été atteint avec Nardis de Miles Davis ; la grande pièce maîtresse des derniers concerts du pianiste, qui s'est étendue sur 17 minutes à Buenos Aires, avec une introduction solo de près de huit minutes et des solos particulièrement inspirés par les membres du trio.

Au sujet de sa collaboration avec le bassiste, qui avait alors 25 ans, Joe LaBarbera déclare : "Marc Johnson et moi avons immédiatement accroché. Son time était exactement là où je l'aimais ; c'était dès la première mesure. Pour moi, c'était sans faille. Et chaque fois que nous avons joué, c'était un miracle instantané. C'est comme si nous ne nous étions jamais quittés. C'est aussi bon que ça. C'est aussi immédiat."

Marc Johnson dit du concert : "Le trio était arrivé à un super niveau. Nous étions vraiment sur une pente ascendante en termes de performance. La musique devenait vraiment amusante. À ce moment-là, en 1979, je jouais avec un peu plus d'autorité et de conviction. Joe a un son incroyable sur ce disque, comme d'habitude, tout simplement phénoménal. Il a aidé à maintenir le trio en vie et à le faire swinguer, et à garder le tout ensemble. Je suis vraiment satisfait du niveau des performances et même du son enregistré et de la sélection des morceaux."

Dans “How My Heart Sings”, le biographe de Bill Evans, Peter Pettinger, écrit : "À la fin de ce concert, Bill a crié à ses collègues : "Magnifique !", comme il se doit". 
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)