Charles Mingus, le concert retrouvé du Ronnie Scott's en 1972

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"La musique est ma vie. Sans elle, je serais mort. Tout ce dont j'ai besoin, c'est de papier à partition et d'un piano." - Charles Mingus, extrait d'une interview à Londres, 1972.

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Le livret de luxe comprend notamment des interviews de Mingus, du saxophoniste alto Charles McPherson et de l'écrivain Fran Lebowitz, une présentation du journaliste Brian Priestley, des appréciations des bassistes Christian McBride et Eddie Gomez.!

Les deux sets du concert, comprenant près de deux heures et demie de musique, ont été enregistrés professionnellement sur des bandes à huit pistes par un camion d'enregistrement mobile les 14 et 15 août 1972. Cependant, la performance n'a pas été publiée, car Charles Mingus - comme tous les autres musiciens de jazz alors en contrat chez Columbia, à l'exception de Miles Davis - a été abandonné par le label au printemps 1973. La présente édition est entièrement autorisée par Jazz Workshop, Inc. qui gère les droits de la musique de Mingus.

Zev Feldman, coprésident de Resonance, qui a coproduit la publication de ces archives du Ronnie Scott’s avec David Weiss, déclare : "C'est un chapitre perdu de l'histoire de Mingus. Il devait à l'origine faire l'objet d'un album officiel de Mingus, mais il ne s'est jamais concrétisé. Nous avons maintenant mis en lumière cet enregistrement pour que le monde entier puisse l'entendre dans toute sa splendeur. C'est particulièrement excitant de célébrer Mingus avec cette sortie, le jour de son centenaire".

Les ayants-droits de Jazz Workshop, Inc. dans le livret précisent : "Dans les mémoires de Sue Mingus, Tonight at Noon (Pour l’amour de Mingus, en français), elle se souvient avoir reçu les bandes extraordinaires que [le groupe] avait enregistrées ; les bobines sont restées dans la chambre forte de Mingus, intactes jusqu'à aujourd'hui. C'est un honneur pour nous, quarante-neuf ans plus tard, de présenter, avec Resonance Records, cette performance historique".

Dans son texte sur les activités de Charles Mingus au début des années 70 et de sa présence au Ronnie Scott's club, le critique et historien britannique du jazz Brian Priestley, auteur en 1983 d'une biographie de Mingus qui fait autorité, intitulée “Mingus : A Critical Biography”, écrit : "La magnifique musique contenue ici provient d'une période particulière de la vie de Charles Mingus, une période au cours de laquelle il est sorti des profondeurs de la dépression et de l'inactivité, pour être finalement accueilli avec des acclamations bien plus larges que celles qu'il avait connues auparavant."

Au moment où le groupe de Charles Mingus monte sur la scène du célèbre club londonien, le grand jazzman connaît une renaissance de sa carrière : il a reçu une bourse de la Fondation Guggenheim et a vu sa musique adaptée pour le spectacle “The Mingus Dances” du chorégraphe Alvin Ailey en 1971. L'année suivante, il publiera sa célèbre autobiographie “Beneath the Underdog” (Moins qu’un chien) et son album en big band “Let My Children Hear Music”, unanimement salué.

Bien que son groupe comprenne toujours les formidables saxophonistes Bobby Jones (ténor) et Charles McPherson (alto), le sextet est en pleine mutation. Le pianiste Jaki Byard a été remplacé par le relativement inconnu John Foster, qui a montré ses talents de claviériste et de chanteur dans le groupe de Ronnie Scott. Le batteur de longue date Dannie Richmond, qui a rejoint le groupe pop de Mark Almond, a été remplacé par le puissant musicien de Detroit Roy Brooks, qui a fait la démonstration de son invention, le "breath-a-tone", qui lui permet de contrôler la hauteur de son du kit de batterie tout en jouant. On l’entend aussi à la scie musicale. Le pupitre de trompette est occupé par le phénoménal Jon Faddis, 19 ans, protégé et acolyte de Dizzy Gillespie.

“The Lost Album” comprend neuf pièces enregistrées au cours de ces deux soirées ; certaines d'entre elles - Orange Was the Color of Her Dress, Then Silk Blues et Mind-readers' Convention in Milano et le cheval de bataille Fables of Faubus - sont des épopées qui durent environ une demi-heure. Dans son intégralité, l'ensemble est comparable aux concerts légendaires de Charles Mingus à Monterey, Carnegie Hall et Antibes.

Lors de cet engagement londonien, qui a eu lieu à la fin d'une tournée européenne, Brian Priestley avait mené une interview conjointe avec Charles Mingus et Charles McPherson au club. Il avait trouvé le bassiste d'humeur philosophe : "La vie comporte de nombreux changements. Demain, il peut pleuvoir. Et il est censé y avoir du soleil parce que c'est l'été, mais Dieu a une drôle d'âme. Il joue comme Charlie Parker. Il peut faire tomber le tonnerre sur vous. Il peut prendre le soleil dans ses mains et le poser dans la nuit."

Dans une nouvelle interview avec Zev Feldman, Charles McPherson caractérise habilement l'approche musicale de son patron de longue date : "Mingus aimait que sa musique soit suffisamment claire pour qu'il soit évident qu'il s'agit d'un travail et d'une réflexion, mais pas trop propre au point de sonner comme émanant d’un robot déshumanisé ou trop trafiquée. Je pense que le terme "chaos organisé" est approprié, car c'est ainsi que sonnait vraiment la musique de Mingus ; elle dégageait presque une atmosphère en roue libre et pourtant, on peut dire qu'elle était écrite, soigneusement pensée, organisée, mais elle avec toujours un grand sens de la spontanéité".

Deux célèbres bassistes expriment leur appréciation de Charles Mingus dans des interviews réalisées par Zev Feldman. Christian McBride déclare : "Mingus a un son si particulier, une telle présence. Il avait des qualités que personne d'autre n'avait. J'aime la façon dont la musique de Mingus atteint cet équilibre très flou entre le blues, le swing et l'avant-garde... Il l'a réalisé d'une manière que personne d'autre n'a fait." Eddie Gomez note : "Il reste l'une des grandes influences de la musique de jazz."

L'interview de Zev Feldman avec Fran Lebowitz, écrivaine new-yorkaise, qui connaissait bien Mingus et son épouse Sue, offre un souvenir très drôle du titan. Dans le livret de l'album, elle se souvient d'une rencontre au cours de laquelle un Charles Mingus en colère l'a chassée du Village Vanguard et l’a poursuivie dans le Lower Manhattan. Elle a également parlé de l'artiste Charles Mingus, en disant : "Je connais un million d'artistes, je connais un million de personnes qui disent être des artistes, un million de personnes que d'autres personnes disent être des artistes, mais Charles était profondément un artiste. Il n'y avait rien en lui qui ne relève pas d'un artiste."
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)

A écouter : un concert de Charles Mingus en 1976 samedi & dimanche dans Les légendes du jazz de Jérôme Badini

A venir : 4 émissions sur Charles Mingus les samedis de juillet à 18h par Alex Dutilh