Henri Texier, le retour aux sources

• Henri Texier à la Une

Outre trois standards indépassables - Besame Mucho, Round About Midnight et What Is This Thing Called Love ? dans lesquels "il s'immerge totalement" - le trio composé de Henri Texier, Sébastien Texier au saxophone et du batteur Gautier Garrigue, pioche dans le riche catalogue de Henri Texier et ajoute de nouvelles compositions. “ Heteroklite Lockdown” est un album aussi spontané qu’essentiel.

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La question pourrait être : “Comment sortir de (chez) soi ?”

Car si Henri Texier a donné le titre aussi paradoxal qu’explicite d’”Heteroklite Lockdown” à son nouveau disque c’est qu’il ne fait aucun doute dans son esprit que la musique qui le compose n’aurait jamais vu je jour sous cette forme sans l’épisode du confinement.

“Il se trouve qu’avec Sébastien, mon fils mais aussi mon plus fidèle partenaire depuis près de 30 ans, nous habitons le même village ! Quand on s’est retrouvé enfermés à cause de l’épidémie de covid-19, on s’est dit qu’au lieu de se morfondre chacun chez soi, on pourrait peut-être braver les interdits et se réunir deux ou trois fois par semaine — pour continuer à jouer, tout simplement. Au départ, c’était juste ça : un geste de survie un peu instinctif, une réponse directe et spontanée à la nécessité où l’on se trouvait de ne pas laisser la musique s’échapper !”

Très rapidement, débarrassés dans l’intimité de ce tête-à-tête de tout projet et de toute injonction extérieure, les deux hommes éprouvèrent conjointement la folle ivresse de s’éloigner de leurs sentiers battus en s’autorisant à jouer tout ce qui leur passait par la tête, mus par le seul et primordial désir de faire de la musique. “Tout de suite le paradoxe de la situation nous a sauté aux yeux. Parce qu’on se retrouvait en situation de jouer dans un pur geste de partage, sans nécessité de résultat, sans avoir à être forcément originaux, sans obligation de mettre en forme un nouveau répertoire, toutes les auto-censures ont disparu et on s’est surpris à voir surgir lors de nos séances des vieux thèmes oubliés, des standards comme Round’ Midnight ou Besame Mucho qu’on ne s’était jamais autorisés à jouer jusqu’alors, bref tout un monde nouveau pour nous qu’on prenait un plaisir fou à accueillir !”

Conscients que, grâce à la musique, cet enfermement, au lieu de les amener en un repli sécuritaire vers la répétition du même, les poussait au contraire résolument vers l’autre dans une sorte d’élan vital, Henri et Sébastien Texier décidèrent alors de transformer ce qui avait débuté comme une simple parenthèse de récréation et de pur divertissement en un véritable espace de travail et de création. Durant de longues semaines les deux hommes allaient ainsi faire le tri dans toute cette matière accumulée, constituer peu à peu un répertoire cohérent dans sa variété même et commencer de réfléchir à des arrangements originaux avec dans un coin de la tête l’idée d’une formule orchestrale idéale, dans son minimalisme archétypal, pour restituer la quintessence poétique de ce retour aux sources du geste musical : le trio !

“Le format s’est imposé de lui-même. Il faut dire que c’est un espace bien particulier le trio, où il se passe des choses en matière d’équilibre, de dynamique collective et d’interplay qu’on ne retrouve dans aucun autre orchestre. Pour moi, même si je l’ai beaucoup fréquenté et expérimenté au cours de ma carrière, c’est chaque fois un défi. Parce qu’on s’y expose comme nulle part ailleurs. Impossible de se cacher derrière ses petits camarades ou de compter sur eux pour rattraper ses errances. C’est une expérience extrême de vérité et de nudité ou chacun est dans l’obligation de se mettre totalement au service du collectif en totale responsabilité de son discours. Mais c’est ce degré d’engagement et d’exigence que nécessitait ce projet. Reprendre Round About Midnight n’autorise pas la médiocrité. A quoi bon s’engager dans un tel chef d’œuvre si ce n’est pas pour s’y immerger totalement ?”

Mais qui, dès lors, pour s’immiscer dans cette histoire si intime et occuper la place stratégique du batteur sans rompre la fragile dynamique de cette mise à nu ? “La question ne s’est même pas posée. Gautier Garrigue joue dans le quintet depuis 2016 et c’est un musicien à la technique brillante et aux mille talents, tellement inventif. Il a cette qualité rare de pouvoir faire vibrer et vivre la musique avec une grande économie de moyens. Il peut jouer des choses très simples et très précises, qui, toujours, donnent de l’ampleur, de la nuance et de la diversité à la musique. Dans cette formule qui peut être parfois aride, c’était le partenaire idéal !”

Lorsqu’il arrive dans l’histoire, un gros travail d’arrangement a déjà été effectué sur le répertoire, mais dès la première répétition le batteur trouve sa place, en apportant sa rigueur, son imagination et sa science du timbre. “Dans ce type de configuration où le moindre impact de baguette sur une cymbale, la moindre intonation de caisse claire prennent soudain une importance déterminante dans l’équilibre du discours collectif, être comme lui, à la fois et solide et précis, s’est avéré un atout précieux dans l’élaboration d’un son de groupe.”

Très vite à l’idée de reprendre une poignée de standards entrés dans l’imaginaire collectif bien au-delà du cercle des amateurs de jazz (Round About Midnight, What Is This Thing Called Love ?, Besame Mucho), et de ressusciter quelques perles enfouies dans le riche catalogue de thèmes du contrebassiste (Fertile Danse créé en 1998 sur l’album “Mosaïc Man” et Islaz, titre éponyme d’un mythique enregistrement du Transatlantic Quartet paru dix ans plus tôt…), les trois hommes décidèrent d’ajouter chacun une composition nouvelle de leur cru. Si Take Your Time de Sébastien Texier, Forest Forgive Them de Gautier Garrigue et Bacri’s Mood d’Henri Texier s’intègrent de façon si naturelle au programme c’est qu’au-delà de leurs évidentes qualités mélodiques intrinsèques, la façon directe et sans esbroufe avec laquelle le trio les aborde au même titre que les autres, en plongeant résolument au cœur du chant, donne à l’ensemble une incontestable unité esthétique. “Cet enregistrement j’ai voulu le placer sous le signe de deux valeurs que je trouve de plus en plus essentielles dans quelque forme d’art : la précision et la simplicité ! Ça se révèle de façon évidente, selon moi, dans la manière frontale que l’on a choisi de jouer les mélodies ! On n’a jamais cherché à faire les malins en fioritures, arabesques et commentaires, on est chaque fois demeurés fidèles à la lettre, en restant au plus près du chant et de la poésie de la composition. Quand une mélodie est belle, il faut la respecter, c’est le meilleur moyen d’aller toucher l’émotion qu’elle recèle. Mais c’est une vraie prise de risque ce choix de la simplicité. Un incroyable défi !”

Ce défi, s’il est relevé de façon admirable tout du long de manière puissamment collective, repose néanmoins en grande partie sur les épaules de Sébastien Texier, dont on n’a peut-être jamais entendu mieux que dans ce disque la beauté toute en nuances du timbre flûté de son saxophone alto ainsi que sa façon très contrôlée de conjuguer rigueur formelle, intensité expressive et imagination lyrique dans le feu de l’improvisation. “C’est un disque dont j’assume l’entière responsabilité en tant que leader, mais qui a été conçu en collaboration étroite avec les deux autres membres du trio et qui repose sur un véritable discours commun. C’est collectivement que pour aller au bout de cette ode à la mélodie, on a placé Sébastien dans la position du chanteur, en mettant en avant son lyrisme. Tout du long, il se retrouve en situation de porter seul la mélodie et de la développer dans ses improvisations et la façon dont il prend sa responsabilité en choisissant de ne jouer que du saxophone alto pour la première fois dans un disque et en assumant une totale liberté d’expression me touche beaucoup !”

Et de fait, constamment inventif, engagé corps et âme dans le vif de la mélodie avec un phrasé aérien évoquant souvent par sa fluidité, son sens de l’espace et son élégance discrète le fantôme des grands stylistes du jazz west coast, Sébastien Texier non seulement donne à l’ensemble sa couleur générale et son intensité émotionnelle tout à fait particulière mais affiche dans ces plages une autorité et une sérénité nouvelles qui le placent sans conteste au rang des meilleurs saxophonistes européens.

A l’arrivée, captée sans public dans les conditions du live sur la scène du Triton, cette musique qui, sur le papier, aurait pu passer pour austère dans sa nudité ascétique, nostalgique et auto-référencée dans son choix de revisiter un répertoire pour partie de standards et de compositions anciennes se révèle dans l’esprit et le geste toute en ouverture et vivacité — extraordinairement contemporaine et incarnée de se vivre totalement au présent.

“Ce que l’on sent dans ce disque, c’est l’impulsion initiale : on n’avait pas d’argument à défendre ; pas de justification à donner ; pas de concept à incarner ; pas d’histoire extra-musicale à défendre ou à illustrer — on a juste fait de la musique dans un réflexe de survie, pour la beauté du geste !”

De la musique pure, de la musique nue, de la musique libre…
(extrait du communiqué de presse : Texte de présentation de Stéphane Ollivier)

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Où écouter Henri Texier

• A Cenon (33) jeudi 03 février à 20h30 au Rocher de Palmer
• A Saubrigues (40) samedi 05 février à 21h à la Scène aux Champs - La Mamisèle
• A Auxerre (89) vendredi 11 février à 20h30 au Silex
• A Paris (75) samedi 12 février à 20h dans la Grande Salle de l'Athénée - Théâtre Louis Jouvet dans le cadre de Jazz à l'Athénée
• A Tours (37) vendredi 25 février à 20h au Petit Faucheux
• A Eymet (24) samedi 26 février à 20h45 au Château avec Jazz'Off de Maquiz'Art

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A lire

Parution simultanée de "Henri Texier - À cordes et à cris, entretiens avec Frank Médioni", éd. Continuité du Torrent. En librairie.