Miguel Zenón, les musiques des Amériques

• Miguel Zenón à la Une

Inspiré par l'histoire du continent américain, “Música de Las Américas” met en scène le quartet que Miguel Zenón forme depuis longtemps avec le pianiste Luis Perdomo, le bassiste Hans Glawischnig et le batteur Henry Cole, ainsi que des maîtres percussionnistes de son Porto Rico natal, dont Los Pleneros de La Cresta, Paoli Mejías, Daniel Díaz et Victor Emmanuelli.

La musique de cet enregistrement, entièrement originale, est le fruit de la passion de Miguel Zenón pour l'histoire du continent, rendant hommage à ses diverses cultures tout en remettant en question les idées reçues sur ce qui constitue “l'Amérique". “Música de Las Américas” représente un élargissement de l'ambition de Miguel Zenón, connu pour avoir combiné un modernisme de pointe avec la musique traditionnelle de Porto Rico,

"Cette musique est inspirée par l'histoire du continent américain : non seulement avant la colonisation européenne, mais aussi par ce qui s'est passé depuis, aussi bien les causes que les effets ", explique Miguel Zenón.

Les compositions de Zenón reflètent le dynamisme et la complexité des cultures indigènes d'Amérique, leurs rencontres avec les colons européens et les implications historiques qui en découlent. Miguel Zenón s'est plongé dans ces sujets pendant la pandémie, en lisant des classiques comme Venas Abiertas de América Latina (Veines ouvertes d'Amérique latine : cinq siècles de pillage d'un continent) d'Eduardo Galeano, qui décrit en détail l'exploitation occidentale des ressources de l'Amérique du Sud et qui est devenu la source d'inspiration de la composition Venas Abiertas.

Parmi les autres sources d'inspiration, citons Taínos y Caribes de Sebastián Robiou Lamarche, en référence aux deux grandes sociétés qui peuplaient les Caraïbes avant la colonisation européenne et qui font l'objet de l'ouverture de l'album. "C'étaient les deux sociétés prédominantes, mais elles étaient très différentes : les Taínos étaient une société agricole plus passive, tandis que les Caraïbes rassemblaient des guerriers qui vivaient pour la conquête", explique Miguel Zenón, qui saisit le choc des sociétés dans les rythmes imbriqués du morceau.

Suivant le fil des sociétés indigènes des Caraïbes, Navegando (Las Estrellas Nos Guían) rend hommage à la culture maritime qui existait dans la région. "Une chose qui m'a époustouflé, c'est la façon dont ils pouvaient parcourir la mer sur de longues distances en utilisant des canoës et en étant simplement guidés par les étoiles", explique Miguel Zenón. "Cela ouvre des perspectives sur ce qui est considéré "archaïque" par rapport à ce qui est "avancé" en termes de réalisations scientifiques entre le "Nouveau Monde" et “l'Ancien Monde"”. Miguel Zenón a fait référence aux formations stellaires utilisées pour la navigation par ces sociétés comme fondement musical de la chanson, qui fait une large place aux percussions et au chant de Los Pleneros de la Cresta, qui chantent et accompagnent le refrain titulaire : Navegando vengo, sigo a las estrellas.

Probablement le morceau le plus difficile de l'album par ses dissonances harmoniques et sa complexité, Opresión y Revolución évoque la tension et la libération des révolutions sur le continent américain, notamment la révolution haïtienne. Avec les percussions de Paoli Mejías et le piano percussif de Perdomo, le morceau reflète également l'influence de la musique vaudou haïtienne, à laquelle Miguel Zenón a été fortement exposé lorsqu'il travaillait avec le batteur Ches Smith et son ensemble "We All Break".

Bien que pour beaucoup le terme "empire" évoque le monde occidental contemporain, Miguel Zenón a composé Imperios en pensant aux différents empires indigènes d'Amérique, notamment les Incas, les Mayas et les Aztèques. "Ces sociétés étaient parmi les plus avancées à leur époque ; en fait, elles étaient à certains égards plus avancées que ce qui se passait en Europe en termes de mathématiques et d'astronomie, d’organisation sociale et de politique", explique Miguel Zenón. "Il y avait déjà là quelque chose de vraiment avancé, et cela me fait penser à ce qui aurait pu être : qu'est-ce qui en serait sorti ?". La mélodie découle de la transcription par Miguel Zenón de la musique d'une cérémonie de descendants aztèques, qui est le pendant de la structure rythmique de la chanson.

Bambula met en vedette le virtuose des percussions Victor Emmanuelli, que Miguel Zenón félicite pour avoir repoussé les limites musicales en tant que chef d'orchestre à part entière. Le terme "bambula" fait référence à une danse qui a été apportée par les esclaves africains aux Amériques. Au fil du temps, la bambula est devenue le rythme communément appelé "habanera", que l'on retrouve aujourd'hui dans une grande partie de la musique latino-américaine. Ici, Miguel Zenón capture le sentiment de connexion à travers le temps et l'espace qui est porté par cette seule cellule rythmique : "C'est un fil qui va de la Nouvelle-Orléans au Brésil en passant par l'Amérique centrale et l'Afrique, à travers toutes ces époques, du passé à la pop contemporaine", explique Zenón. "Pour moi, je voulais que l'on ait l'impression d'être au bal, mais en même temps d'entendre cette harmonie et cette mélodie plus modernes."

En soulignant ces connexions entre les régions géographiques, Miguel Zenón revient également à un thème majeur de l'album : la conception de l'Amérique non pas comme un pays - c'est-à-dire en se référant uniquement aux États-Unis modernes - mais comme un continent. América, el Continente précise ce point tout en rappelant aux auditeurs les implications politiques de l'appropriation du terme "Amérique" par les États-Unis, avec son effacement subtil du reste de l'hémisphère occidental.

Antillano, qui tire son nom des habitants des Antilles, illustre ce pour quoi Miguel Zenón est le plus connu : faire se rencontrer le passé et le présent d'une manière avant-gardiste et musicalement satisfaisante. Terminant l'album sur une note optimiste, le morceau imite certains aspects contemporains de la musique de danse tout en mettant en vedette Daniel Díaz aux congas. Certaines surprises de contretemps peuvent passer inaperçues à l'oreille d'un auditeur occasionnel, mais elles le font sans interrompre le flux musical si naturellement transmis par le quartet de Miguel Zenón

En abordant des sujets historiques souvent difficiles sur “Música de Las Américas”, Zenón a créé une œuvre forte. L'idée que le jazz moderne ne peut pas être à la fois groovy et émotionnel pour l'auditeur, tout en étant formellement et intellectuellement convaincant, est manifestement fausse, ce que Miguel Zenón prouve ici comme il l'a fait à maintes reprises tout au long de sa carrière.

À propos de Miguel Zenón

Nommé à plusieurs reprises aux Grammy® et boursier Guggenheim et MacArthur, Miguel Zenón fait partie d'un groupe restreint de musiciens qui ont su équilibrer et mélanger de manière magistrale les pôles souvent contradictoires de l'innovation et de la tradition. Considéré comme l'un des saxophonistes les plus novateurs et les plus influents de sa génération, Zenón a également développé une voix unique en tant que compositeur et conceptualiste, concentrant ses efforts sur le perfectionnement d'un mélange fin entre le jazz et ses nombreuses influences. Né et élevé à San Juan, Porto Rico, Zenón a enregistré et tourné avec une grande variété de musiciens, dont Charlie Haden, Fred Hersch, David Sánchez, Danilo Pérez, Kenny Werner, Bobby Hutcherson et le SFJAZZ Collective.
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)