Tord Gustavsen, ouverture sur le silence

• Tord Gustavsen à la Une

L'album " Opening" de Tord Gustavsen développe les traits et les styles explorés dans ses œuvres précédentes, tout en introduisant un spectre plus large de souplesse et un renouvellement de l'interaction dans le répertoire du trio. Il s'agit du premier enregistrement avec Steinar Raknes à la contrebasse et le nouveau venu se sent tout à fait à l'aise, s'installant rapidement entre les accords raffinées de Tord Gustavsen et le délicat travail de baguettes et balais de Jarle Vespestad.

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Demeurant fondamentalement fidèle à son esthétique singulière mêlant hymnes traditionnels scandinaves, gospel, choral et jazz, le trio expérimente de nouvelles techniques et approches sonores dans le processus de création. Magnifiquement mis en valeur par l’acoustique exceptionnelle de l’Auditorio Stelio Molo de Lugano, les échanges intimes du groupe, ouvrant à partir de mélodies discrètement accrocheuses de longues séquences d’improvisations pleines d’espace et de textures raffinées, bousculent avec une grande élégance le langage établi par Tord Gustavsen depuis bientôt deux décennies de collaboration avec Manfred Eicher. Un nouveau chapitre à l’histoire du trio.

Il y a une ouverture particulièrement frappante dans la musique, marquée par des improvisations éprises d’espace et une tendance à dévoiler les secrets des mélodies à leur propre rythme. "L'envie de dire quelque chose, que ce soit abstrait ou lyrique, doit venir de l'intérieur", explique Tord Gustavsen. "Pendant l'enregistrement de l'album, il m'a semblé préférable d’installer d'abord une respiration, d'ouvrir le paysage sonore de manière plus organique pour laisser la mélodie entrer quand elle s’impose naturellement."

De multiples causes peuvent expliquer le changement d’atmosphère sur "Opening" - le nouveau line-up étant certainement l'une d'entre elles. Le bassiste Steinar Raknes établit un contrepoint ferme dans la musique. "C'est un bassiste extraverti, qui aime occuper le devant de la scène, tout en étant un accompagnateur incroyablement dévoué et humble, il passe donc très rapidement d’un rôle d'arrière-plan à celui de membre à part entière du collectif ou de soliste." Contrepoids idéal à la souplesse lignes de basse, la drumming de Jarle Vespestad agit comme un médiateur, guidant ses collègues musiciens dans des passages alternant swing et soutien rubato.

Ici plus que jamais, Tord Gustavsen s'attarde sur de minuscules fragments, de brèves chaînes d'accords et de rares allusions à des motifs, développant le matériau très patiemment : "C'est quelque chose que j'ai beaucoup pratiqué dans mes concerts en solo. Faire surgir des thèmes de l'obscurité et les faire disparaître dans un flux ombragé…".

Reprenant en quelque sorte là où le précédent album en trio “The Other Side” s'était arrêté, The Circle, qui ouvre l'album, présente un refrain hymnique. "J'étais assis au piano et les quatre premières mesures me sont venues comme ça. J'ai travaillé et développé le reste de la structure délibérément, mais je trouve de plus en plus que les meilleures mélodies que j'ai écrites au fil des ans me sont venues comme des cadeaux. J'ai ensuite la responsabilité de mettre en forme ce cadeau, de le faire grandir et de le transformer en un morceau complet".

Le trio offre des moments spontanés de jeu rubato dense sur Opening et Findings, ce dernier se terminant sur une citation instrumentale de la chanson folklorique suédoise Vis Fran Rattvik. "Cela montre que j'ai beaucoup écouté les arrangements d'airs traditionnels suédois de feu Jan Johansson, qui se trouvait être aussi l'un des plus grands pianistes de jazz suédois. J'ai appris la plupart de ses arrangements par cœur, juste comme un exercice, et cette influence est évidente ici". Ce sont également les pièces les plus librement improvisées du disque, tout comme son homologue Findings II. "J'aime vraiment construire ces miniatures - c'est quelque chose que nous faisons souvent en concert. Il s'agit surtout de créer une forme, pas de se livrer à l'improvisation libre pour montrer tout ce que l'on est capable de faire".

Avec chaque chanson, le trio change de point de vue, présentant la forme réduite, la plus squelettique d'une composition sur The Longing, le doux démêlage de la mélodie sur Shepherd Song et la subtile déconstruction d'une danse avec Helensburgh Tango - "au point que cela ne peut presque plus être qualifié de tango". Comme Re-Opening, la plupart des chansons révèlent des changements harmoniques, "mais le moment de passer d'un accord ou d'une section à l'autre n'est pas pré-composé, mais décidé entre nous, dans l'impulsion du moment".

Stream dévoile une ballade "classique" en trio de piano dans sa forme et son exécution. "Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, en studio, notre interaction est devenue plus dense pendant le solo de Steinar, puis nous nous dirigeons vers un crescendo collectif - deux décisions spontanées qui jettent vraiment une lumière différente sur le morceau." Ritual suit, voyant Steinar Raknes occuper le premier plan avec des aigus semblables à ceux de la guitare et Tord Gustavsen être en charge des basses fréquences, appliquant une subtile électronique dans le processus.

Le groupe boucle la boucle avec le seul sujet qui traverse toute l'œuvre de Tord Gustavsen sur ECM, puisque "Opening" se termine sur des thèmes populaires norvégiens : Fløytelåt (la flûte) du compositeur Gveirr Tveitt et Vær sterk, min sjel d'Egil Hovland, tiré du Norsk Salmebok, l'hymne norvégien.

Tord Gustavsen (piano)
Steinar Raknes (contrebasse)
Jarle Vespestad (batterie)