Propos sur Bach d'Hector Berlioz (1843)

Hector Berlioz
Hector Berlioz - André Gill
Hector Berlioz - André Gill
Hector Berlioz - André Gill
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A lire Saint-Saëns, Berlioz (1803-1869) aurait toujours pris Bach « pour une sorte de colossal fort-en-thème, fabricant de fugues très savantes, mais dénué de charme et de poésie » (1890). Il avait toutefois été impressionné par l’exécution de la "Passion selon saint-Matthieu" à Berlin en 1843.

♫ Jean-Sébastien Bach
Passion selon Saint-Matthieu BWV 244
1. Chœur « Kommt ihr Töchter helft mir klagen »
Choeur de chamber du RIAS de berlin
Chœur d’Etat et de la cathédrale de Berlin
Akademie für Alte Musik de Berlin
Disque : Harmonia Mundi HMC 802156.58 (2013)

« Je n’en finirais pas avec cette royale ville de Berlin, si je voulais étudier en détail ses richesses musicales. Il est peu de capitales, s’il en est toutefois, qui puissent s’enorgueillir de trésors d’harmonie comparables aux siens. La musique y est dans l’air, on la respire, elle vous pénètre. On la trouve au théâtre, à l’église, au concert, dans la rue, dans les jardins publics, partout. […]

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Le jour où je suis allé à l’Académie de chant, sur l’invitation du directeur Rungenhagen, on exécutait la Passion selon saint Matthieu de Sébastien Bach. Cette partition célèbre que vous avez lue sans doute, est écrite pour deux chœurs et deux orchestres. Les chanteurs au nombre de trois cents au moins, étaient disposés sur les gradins d’un vaste amphithéâtre ; un espace de trois ou quatre pieds seulement séparait les deux chœurs. Les deux orchestres, peu nombreux, accompagnaient les voix du haut des derniers gradins, derrière les chœurs, et se trouvaient en conséquence assez éloignés du maître de chapelle, placé en bas sur le devant. […]

L’exécution de ces masses vocales a été pour moi quelque chose d’imposant, le premier tutti des deux chœurs m’a coupé la respiration ; j’étais loin de m’attendre à la puissance de ce grand coup de vent harmonique. Il faut reconnaître cependant qu’on se blase sur cette belle sonorité beaucoup plus vite que sur celle de l’orchestre, les timbres des voix étant moins variés que ceux des instruments. Cela se conçoit, il n’y a guère que quatre voix de natures différentes, tandis que le nombre des instruments de diverses espèces s’élève à plus de trente. […]

Quand on vient de Paris et qu’on connaît nos mœurs musicales, il faut, pour y croire, être témoin de l’attention, du respect, de la piété avec lesquels un public allemand écoute une telle composition. Chacun suit des yeux les paroles sur le livret ; pas un mouvement dans l’auditoire, pas un murmure d’approbation ni de blâme, pas un applaudissement ; on est au prêche, on entend chanter l’Evangile, on assiste en silence non pas au concert, mais au service divin. Et c’est vraiment ainsi que cette musique doit être entendue. On adore Bach, et on croit en lui, sans supposer un instant que sa divinité puisse jamais être mise en question ; un hérétique ferait horreur, il est même défendu d’en parler. Bach, c’est Bach, comme Dieu c’est Dieu. »

Hector Berlioz, « Premier voyage en Allemagne (1842-1843) : 9e lettre de Berlin à Desmarest » (parue dans le Journal des débats, 8 novembre 1843) ; dans Mémoires, présentés et annotés par Pierre Citron, Paris, Flammarion (Harmoniques), 1991, p. 391-393.

Hector Berlioz - Mémoires, présentés et annotés par Pierre Citron, Paris, Flammarion (Harmoniques), 1991
Hector Berlioz - Mémoires, présentés et annotés par Pierre Citron, Paris, Flammarion (Harmoniques), 1991
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