La pianiste Zhu Xiao Mei (née en 1949), grande interprète de Bach, a quitté son pays en 1980 pour les Etats-Unis avant de s'installer en France en 1984. Elle retourne en Chine à l'automne 2014, après 35 ans d'absence, pour une tournée de concerts et de master-classes où il est question de Bach.
« Des centaines de personnes assises, debout, accroupies, ont envahi la salle du Conservatoire de Chengdu où nous pénétrons dans une agitation indescriptible. Le corps professoral est assis au premier rang. Passé le travail avec les élèves, la discussion s’engage avec la salle.
– Que doit-on rechercher avant tout dans l’interprétation de Bach ? demande un professeur
– L’équilibre, répond Zhu Xiao Mei. On doit le jouer de manière vivante, profonde, mais en recherchant toujours l’équilibre. On ne doit être ni austère, ni maniéré. J’ai un ami, un grand médecin chinois, un homme très touchant qui m’a dit un jour : “Tu sais, à mon âge (il a déjà plus de soixante-dix ans), ce qui compte le plus quand j’ausculte un patient ou même seulement quand je le regarde, c’est l’équilibre. Un corps bien équilibré est en bonne santé.” Ce qui est vrai du corps est vrai de l’interprétation et plus encore de la pensée et de la vie.
– Je n’ai jamais vu une église, je ne suis pas croyant. Comment puis-je comprendre Bach ? demande un autre professeur.
– Je vais vous faire une confidence, répond Zhu Xiao Mei. Pour moi, par sa maîtrise de sa vie intérieure, son contrôle des émotions, son intériorité, Bach est bouddhiste. C’est le plus grand des compositeurs bouddhistes.
La salle se met à rire.
– Ne riez pas, car je vais vous dire quelque chose d’autre : pour moi sa musique a aussi toutes les caractéristiques du taoïsme et me renvoie toujours à Laotzi. Mon rêve est de créer une école de piano dans la montagne, où l’on travaillerait la musique de Bach, où l’on mangerait végétarien, où l’on ferait de grandes promenades dans la nature, où professeurs et élèves vivraient ensemble ! Par exemple ici, près de Chengdu !
La salle applaudit à tout rompre.
– Mais attention, j’ai dit un jour à une journaliste allemande que Bach était bouddhiste. Elle a été scandalisée. Ici, je peux le redire sans crainte : nos amis allemands que j’aime tellement ne parlent pas chinois !
La salle sombre dans l’hilarité. »
Référence : Michel Mollard, Zhu Xiao Mei, retour en Chine, Paris, Editions Salvator, 2016, p. 135-137.
Jean-Sébastien BACH
Clavier Bien tempéré (Livre I) Prélude en mi bémol mineur BWV 853
Zhu Xiao Mei, piano
Disque : Mirare MIR 103 (2010)
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