Écoute, soutien moral, aide pour se loger et pour trouver du travail... L'association s'est adaptée pour faire face à l'afflux de demandes d'artistes ukrainiens et russes. Reportage.
L'Atelier des artistes en exil, dans le 2ème arrondissement de Paris, est en première ligne pour accueillir les chanteurs, danseurs et musiciens qui fuient leur pays. Depuis le début de la guerre fin février, les membres de cette association, créée en 2017, ont dû se réorganiser pour faire face à l'afflux de demandes. Écoute, accueil et soutien moral, aide pour se loger ou pour trouver du travail... L'Atelier des artistes en exil se mobilise. France Musique a poussé la porte.
Au bout du fil
En ce moment, Lesya Matsko répond à des dizaines de coups de téléphone par jour, "trente, quarante, parfois plus." Au bout du fil ce jeudi après-midi, un artiste ukrainien, qui cherche à obtenir une résidence en France. Lesya discute un peu avec lui, puis raccroche. "C'était un danseur. Je lui ai dit que nous allions traiter son dossier le plus vite possible avant de revenir vers lui." Lesya a été recrutée il y a deux mois pour coordonner les demandes des artistes qui fuient l'Ukraine.
Ces derniers ("chanteurs d’opéra, de jazz, beaucoup dernièrement de DJ et de compositeurs de musique électronique") appellent la ligne directe, mise en place par l'atelier au mois de mars. Beaucoup d'entre eux sont dans des situations très précaires. "Presque chaque message est difficile. Les gens qui arrivent ici ont vécu des bombardements, ils viennent de la guerre avec un petit sac à dos, sans rien, très stressés", décrit la coordinatrice d'origine ukrainienne, qui a mis entre parenthèse son métier de réalisatrice de documentaires pour se consacrer aux artistes. "L'une d'entre elles m’a raconté qu’elle se réveillait dorénavant à 5h du matin, car c’était l’heure où retentissaient les sirènes en Ukraine."
Contactée par la directrice, j’ai dit oui tout de suite. Je savais que je n’allais pas pouvoir avoir une 'explosion créative' en tant que réalisatrice, car je ne pensais qu’à la guerre. Je voulais faire quelque chose de concret pour aider les artistes" - Lesya Matsko, coordinatrice pour les artistes ukrainiens en exil.
Visas et logement
Il faut d'abord accompagner les artistes pour les démarches administratives, l'hébergement. Processus facilité car les Ukrainiens bénéficient d'une protection temporaire de l'État. C'est en revanche plus laborieux pour les artistes russes, dont Adèle Costa coordonne le départ et l'arrivée en France. "Dès le début, cela a été une évidence que les Russes ne seraient pas mis de côté. Ce sont des gens qui sont contre le régime actuel, contre la guerre, qui veulent fuir", raconte la jeune femme, qui s'occupait jusqu'ici des artistes afghans. "Au début pour les Russes, la seule possibilité était de faire des visas touristiques. Maintenant, on a la possibilité de faire des visas de type travail. Grâce à nos contacts, on arrive à leur procurer des papiers et à les faire venir en France."
Mon poste a été créé à la mi-mars. À partir de ce moment-là, on a eu un afflux de personnes russophones : des Ukrainiens mais aussi des Bélarussiens, des Moldaves, des Russes, évidemment. Dès qu’il y a une crise et que l’atelier des artistes en exil est mentionné, il y a un afflux" - Adèle Costa, coordinatrice nationale pour les artistes russes.
Et l'exil des Russes n'est pas le même que l'exil des Ukrainiens. "La différence très forte, c’est que l’exil des Ukrainiens est à priori un exil provisoire. Ce sont des personnes qui fuient car la guerre rend leur vie impossible, mais ils rentreront dès qu’ils pourront, tient à souligner Judith Depaule, directrice de l'Atelier des artistes en exil, alors que chez certains Russes, on sent qu'il y a vraiment une rupture nette et qu’ils ne rentreront pas de sitôt."
En termes de choix esthétiques, nous demandons tout de même aux personnes ce qu’elles produisent, de nous montrer ce qu’elles font et de nous parler de leurs projets à venir. Il nous arrive de dire 'non', à regret" - Judith Depaule, directrice de l’atelier des artistes en exil.
Retrouver du travail en France
Russes ou ukrainiens, les musiciens, comme Sasha Morozova, peuvent pratiquer leur instrument dans les locaux. Il faut ensuite aider les artistes à trouver du travail dans leur domaine, les aider à rédiger leur CV, aussi, ce qu'a toujours fait l'atelier depuis 2017. C'est l'ampleur qui est inédite. "De nouveaux artistes, en nombre, tous en même temps, qui ont les mêmes besoins, ça c’est un grand changement à l’atelier", note Judith Depaule, également metteuse en scène de théâtre. "Tout à coup, on parle russe dans tout l’atelier, y compris les Ukrainiens." Ultime bouleversement d'une année déjà extrêmement chargée : "Il y a eu le coup d’Etat en Birmanie, le retour des Talibans en Afghanistan et maintenant la guerre en Ukraine. En un an, il y a eu un surcroît d’activité et un surcroît de demande extrêmement grand."
En une année, les dominances linguistiques se sont complètement inversées. Mais nous avions déjà mis le russe dans les six langues de l’atelier et peut-être, d’une certaine façon, anticipé quelque chose."
Le ministère de la Culture a promis de financer la ligne téléphonique instaurée en mars, à hauteur de 100.000 euros. L'association aimerait toujours plus de moyens pour gérer l'afflux, sur le court comme sur le long terme. "C’est un engagement long, ce n’est pas que maintenant. C’est aussi dans 6 mois, dans un an, dans deux ans…" égrène la directrice, avant de conclure : "On dit qu’une intégration, c’est neuf ans. Je vous laisse faire le calcul."
Programmation musicale
- 08h08
Gianni Schicchi : O mio babbino caro (Air de Lauretta) Anna NetrebkoGianni Schicchi : O mio babbino caro (Air de Lauretta)Claudio Abbado (Chef d'orchestre), Orchestre De Chambre Mahler, Giacomo Puccini
Album Anna Netrebko : Sempre libera (2004)Label DEUTSCHE GRAMMOPHON
L'équipe
- Production
- Production