

Une vingtaine de patients de l'hôpital Chezal-Benoît, dans le Cher, ont donné de la voix, encadrés de musiciens professionnels. Un moment suspendu, organisé par l'association Concerts de Poche.
La musique a-t-elle des vertus thérapeutiques ? Ce ne sont pas les patients en unité psychiatrique de l'hôpital Chezal-Benoît, dans le Cher, qui diront le contraire. Une vingtaine d'entre eux ont donné de la voix lors d'un concert organisé par l'association "Concerts de Poche", dont l'objectif est d'emmener la musique classique là où on n'a pas l'habitude de l'entendre. Les patients, qui présentent des troubles mentaux parfois sévères, étaient encadrés de musiciens professionnels. Nous avons passé la journée avec eux, des répétitions jusqu'à la représentation.
C'est la dernière répétition avant le grand soir. Sur scène, ils sont une vingtaine à faire des vocalises dont Anne, très concentrée. "Quand j'étais en CM2, on avait fait une chorale, mais je chantais tellement faux qu'ils m'avaient supprimé de la chorale", raconte-t-elle : "C'est la revanche !" Mais chanter à plusieurs, cela fait avant tout beaucoup de bien aux patients, comme nous le dit Nordine, chanteur dans l'âme : "c'est une bonne séance thérapeutique pour la psychologie de l'être humain, ça détend beaucoup le physique, et l'être". "Ça m'apporte de la paix intérieure", complète Anne.
"J'ai ressenti face à moi beaucoup d'émotions très brutes"
De la paix intérieure sous la houlette de Mathieu Bolcato, le chef de chœur, qui accompagne les patients depuis février au rythme d'un atelier par semaine, tous les jeudis : "J'ai ressenti face à moi beaucoup d'émotions très brutes et vraies, qui étaient exprimées parfois sans barrières, ce qui fait que c'est très particulier de créer un chœur avec toutes ces individualités."
Mais ce n'était finalement peut-être pas si différent, dans le sens où faire chœur c'est aussi, communément, prendre toutes ces individualités là et faire quelque chose ensemble" - Mathieu Bolcato
Des répétitions dans un cadre magnifique, en pleine campagne : une ancienne abbaye bénédictine, reconvertie au 19e siècle en hôpital psychiatrique, où les patients peuvent se déplacer librement. Les unités de psychiatrie au long cours accueillent aujourd'hui une centaine de résidents. Et organiser un concert ici, c'était symbolique. "C'est exactement ce pour quoi on travaille au niveau des Concerts de Poche aujourd'hui", résume Eliette Labarthe, chargée de programmation pour l'association : "S'adresser à des publics qui n'écoutent pas forcément de la musique classique au quotidien. Faire en sorte qu'à la fois des artistes, des soignants et des patients fassent de la musique ensemble. Et puis être dans un petit village du Cher, au cœur de la ruralité aussi, et s'adresser à tous à travers ce vecteur magnifique qu'est la musique classique."
C'est bientôt l'heure du concert, dans la salle de spectacle de l'hôpital. Des membres de la famille des patients ont fait le déplacement : "Je suis ici parce que ma fille est hospitalisée à Chezal. Ce soir elle chante dans la chorale, donc je viens pour l'écouter, tout simplement", témoigne le père d'une patiente, qui entendra sa fille chanter pour la première fois.
Les apprentis chanteurs seront bien accompagnés. Au premier étage, on retrouve le pianiste Thomas Enhco et le violoncelliste Raphaël Merlin, en train de se changer. "Ce n'est pas tout à fait une première, on est tous les deux des fidèles des Concerts de Poche depuis des années, donc on a l'habitude de ce genre de rencontre", dit Thomas Enhco. "Et à travers ce concert, je pense qu'ils se sentent écoutés, considérés, c'est très important", ajoute Raphaël Merlin.
De sacrés progrès
Dernier échauffement pour les patients, tirés à quatre épingles. Nordine appréhende un peu, "un peu de stress avant de commencer le spectacle". Mais une fois sur scène, l'anxiété s'évanouit. Ce n'est pas un chœur professionnel mais ce n'était pas l'objectif : Maud Rannou, psychologue clinicienne, est très émue. "De sacrés progrès ont été faits. Être ensemble, en groupe, c'est quelque chose qui ne va pas de soi pour eux. On a pensé ce projet comme une possibilité pour eux de venir trouver individuellement mais aussi collectivement une manière d'habiter le monde un peu plus douce, et visiblement c'est ce qu'il s'est passé", constate-t-elle : "C'est vraiment très touchant pour les soignants qu'on est de pouvoir entendre ça et de pouvoir saisir que ce qu'on a essayé de proposer, cette résistance, a pris et qu'il en sort quelque chose d'aussi grandiose."
À la fin du concert, la salle applaudit à tout rompre. Sur scène, le bonheur se lit dans les yeux de Mathieu, le chef de chœur, dans les yeux d'Anne, de Nordine et de tous les autres patients, fiers du travail accompli, fiers d'avoir chanté à l'unisson.
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