Et si la forêt pouvait être une inspiration pour changer la manière de jouer à l'opéra ? C'est en tout cas ce que croit Isabelle Sabrié, compositrice installée en Amazonie depuis 2007, qui s'inspire des sons qu'elle enregistre pour créer des opéras. Un reportage de Clawdia Prolongeau.
Elle a choisi un petit local bien à l'écart du centre-ville. Impensable pour Isabelle Sabrié d'être plus éloignée que ça de son outil de travail premier : la forêt amazonienne. Ancienne parisienne aux cheveux longs et teints en vert, Isabelle Sabrié a longtemps voyagé en tant que soprano soliste pour donner des concerts dans le monde entier. A l'époque, elle recevait des prix internationaux de chant et interprétait la Reine de la Nuit, avant qu’un événement ne la fasse changer de vie en décembre 2006, à l’occasion d’une tournée en Guyane. « D’habitude on voyage mais, on fait attention à pas prendre de courant d'air, on mange pas n'importe quoi, on sort pas, raconte-t-elle. On répète, on chante et puis après on s'en va. Mais là j'ai eu trois heures dans la forêt. Ça c'était extraordinaire et c'est la première fois que j'ai eu ce grand choc. »
Ce qui frappe Isabelle Sabrié, c’est que malgré la multitude d’animaux, elle parvient à distinguer le son émis par chacun. Pour mieux comprendre ce phénomène, elle décide de s’installer à Manaus, la capitale de l’Amazonie au Brésil quelques mois plus tard. L’université cherche justement une professeure de chant. Elle postule, est engagée, et peut désormais consacrer son temps libre à enregistrer des son de la forêt. «Je faisais ça de chez moi tout simplement, se souvient-elle. Je mettais l'enregistreur dans le jardin, j'écoutais, mais ça m'a pris plus d'un an. Par exemple, la première fois que j'ai entendu les crapauds et que je me suis rendue compte qu'ils avaient des positions dans l'espace qui correspondaient à leurs positions dans le temps... Par exemple il y avait un crapaud à gauche, un crapaud à droite et un crapaud à peu près au milieu derrière. Les deux premiers semblaient se répondre avec un silence entre leurs coassements et celui du milieu, quand il s'exprimait, émettait un son pile à la moitié du silence. Et un matin en écoutant, tout d'un coup, j'ai compris. Il y a un beat commun, je peux battre la mesure en écoutant les sons de la forêt ».
L'harmonie rythmico-spatiale
En 2012, Isabelle Sabrié théorise ce qu’elle appelle l’harmonie rythmico-spatiale, une technique qui, en plaçant des musiciens autour des spectateurs à l'opéra et en faisant passer le son de l'un à l'autre, permet de créer de nouvelles sensations, un peu à la manière du cinéma en 3 dimensions. Dans l'opéra qu'elle compose actuellement, il y a une scène où le héros, Marcus, devient fou. Quatre caisses claires sont aux quatre coins de la salle et permettent de donner l'impression que le son tourne autour des spectateurs, comme un cercle furieux à l'image de la folie de Marcus.
En 2017 et 2019, deux études scientifiques publiées dans le New York Academy of Sciences confirment les constats d'Isablle Sabrié : « Ce point en commun observé dans tant de différents enregistrements d´interactions communicatives suggère une intrigante hypothèse : les interactions communicatives humaines et non humaines de toute sorte peuvent manifester la même sorte de structure hiérarchique temporelle qui dépend de la fonction communicative particulière, et moins de l’espèce ou du moyen de production du son. Un tel résultat, s’il est corroboré, indiquerait que la parole, la musique et les vocalisations animales suivent toutes un modèle commun de structure temporelle hiérarchique. » .
Le Teatro de Manaus, qui soutient les recherches d'Isabelle Sabrié, a présenté quelques années plus tard la première représentation sous ce format - là. Marcelo de Jesus, chef de l'orchestre symphonique de Manaus, l'Amazonas Filarmônica, a dirigé cette représentation et en garde un souvenir précieux : « J'ai eu l'honneur de présenter une de ses œuvres dans le Teatro Amazonas. vous entendez la musique avec une dimension spatiale qui n'est pas seulement celle italienne et française où la musique vient de la scène vers le public. Il y avait aussi des musiciens dans le parterre et dans les loges. Donc je dirigeais l'orchestre qui était derrière moi en regardant vers le public. En tant que spectateur, vous voyez le chef d'orchestre, et la musique vient aussi d'autres endroit que la scène. C'était vraiment une expérience unique pour ceux qui étaient présents ce soir-là. »
Actuellement Isabelle Sabrié termine de composer son premier opéra rythmico-spatial qui sera présenté au prochain festival Amazonas de Opera, le plus grand festival d’opéra d’Amérique du Sud.
Programmation musicale
- 08h08
La flûte enchantée K 620 : Papagena ! Papagena ! / Pa-pa-pa-pa-pa-pa-Papagena ! Pa-pa-pa-pa-pa-pa-Papageno (Acte II) Duo Papagena Papageno Wolfgang Amadeus Mozart (Compositeur)La flûte enchantée K 620 : Papagena ! Papagena ! / Pa-pa-pa-pa-pa-pa-Papagena ! Pa-pa-pa-pa-pa-pa-Papageno (Acte II) Duo Papagena PapagenoLaurence Equilbey (Chef d'orchestre), Sandrine Piau (Soprano, Papagena), Florian Sempey (Baryton (voix), Papageno), Insula Orchestra
Album Magic Mozart (2020)Label ERATO (190295261979)
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