Compositeur pour les plus grands cinéastes, Evgueni Galperine s'est réfugié en France avec sa famille en 1990. "Aujourd'hui, j'ai peur pour mes amis ukrainiens et j'ai de la compassion pour mes amis russes", confie-t-il. Portrait.
C'est "Chez Léon", un bistrot parisien chaleureux, à son image, qu'Evgueni Galperine nous donne rendez-vous pour nous raconter son histoire. Celle d'un enfant né en 1974 à Tcheliabinsk, ville industrielle de la région de l'Oural, d'une mère russe et d'un père ukrainien, qui partent ensuite en Ukraine. "Tcheliabinsk était en périphérie, mes parents voulaient plus d’opportunités pour mon frère Sacha et moi." Ils emménagent à Kiev, la "ville de son enfance" : "À Kiev, j'ai vécu mes premières expériences en amitié, en amour. La musique, pas vraiment encore, parce que j’étais un enfant très malade : je passais énormément de temps dans les hôpitaux parce que je faisais de l’asthme. Kiev pour moi c'était la lecture, les promenades, le rapport à l’histoire aussi, car j’étais dans une ville où les murs témoignaient d’une autre époque."
Puis, direction Moscou. Son père Yuli, compositeur, a trouvé du travail là-bas. Le début de son éducation musicale, au conservatoire d'arrondissement d'abord, puis à l'école Gnessine. "À cette époque-là, si on voulait faire des études de musique, il fallait les faire à Moscou. Les cours de musique en Russie sont souvent très émotionnels", se souvient Evgueni. "Les professeurs donnent beaucoup pour que leurs élèves réussissent. C’est assez dur, extrêmement strict, vous vous faites parfois engueuler sévèrement, sauvagement, on vous vire de la classe, vous devez apprendre le morceau sur l’escalier avant de revenir en classe et de montrer vos progrès."
La rupture
Vient alors la rupture : chute de l'Union Soviétique. Les parents d'Evgueni décident de fuir, terrifiés à l'idée que leur fils soit enrôlé pour faire la guerre en Tchétchénie ("ils ne voulaient pas trop que je tue les Tchétchènes, et il fallait encore moins que les Tchétchènes me tuent"). Mais pas que : "l’éclatement de l’URSS, ça voulait dire pas d’avenir pour les musiciens, une situation économique désastreuse. Mes parents ont compris que dans les dix ans à venir, il n’y aurait pas de travail, qu’il serait difficile de survivre." Et puis, "comme dans tous les moments difficiles économiquement en Russie", une montée de l'antisémitisme "devenu une sorte de menace quotidienne, en tout cas dans le quartier où l'on vivait."
Nous sommes en 1990. La famille Galperine débarque en France avec une valise. Réfugiés politiques, aidés par une grand-tante installée à Paris. Evgueni, 16 ans, obtient la nationalité française. Il reprend ses études musicales, d'abord au Conservatoire de Boulogne puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse. "Mais surtout, j’apprends à côtoyer les Français. Ce n’est pas seulement une question de langue, c’est aussi l’échange entre les gens, beaucoup plus distants, beaucoup plus froids au premier abord qu'en Russie. Il fallait apprendre comment communiquer avec les gens."
Au CNSMDP, Evgueni Galperine rentre dans la classe de composition de Guy Reibel, "qui cherchait à faire évoluer chaque élève dans son propre style." Puis un autre professeur, post-Boulézien, venu pour "imposer son style à tous les élèves". Quand Evgueni l'informe qu'il souhaite composer de la musique de film, son enseignant lui répond : "vous vous rendez compte que c’est de la prostitution ?" À la fin de sa deuxième année, à 25 ans, l'étudiant est alors exclu de la classe de composition, avec "un grand scandale" : "des pétitions d'étudiants en ma faveur, un conseil disciplinaire, un procès au CNSM, une lettre ouverte. Bref, un vrai scandale comme on les aime. Mais j’étais assez fier de donner un grand coup de pied dans ce panier de crabes." Evgueni perfectionne sa musique. Minimaliste, organique, il se taille peu à peu une réputation, et compose avec son frère Sacha pour les plus grands cinéastes : Andrei Zviaguintsev, François Ozon, ou encore Asghar Farhadi.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Le cauchemar
En 2014, "premier choc", avec l'annexion de la Crimée par la Russie. "Que la Russie puisse d’une manière aussi lâche envahir une partie de l’Ukraine, c’était impensable." L'immense chagrin quand son ami très proche, le chanteur d'opéra Wassyl Slipak, engagé pour défendre l'Ukraine, "aujourd'hui héros national", est tué au front par un sniper russe. Puis coup de massue, le 24 février dernier : "Le 24 au matin, c’était comme un cauchemar. Comme si j’étais en Russie en 1941, et qu’en me réveillant, j’ai su que Hitler attaquait l’Union soviétique. Imaginer que la Russie puisse attaquer l’Ukraine, c’est de la folie pure : j’avais l’impression de me réveiller dans un monde fou, parallèle."
Une double peine, pour le compositeur au cœur en partie russe et ukrainien : "J'ai peur pour mes nombreux amis ukrainiens, et d'autre part, j'éprouve une compassion très forte pour mes amis russes qui se sont retrouvés prisonniers d’un état fasciste, du jour au lendemain. Imaginez que vous vous réveillez dans le monde d’Orwell, et que vous ne pouvez plus sortir de ce monde-là." Se sent-il davantage Français, Russe ou Ukrainien ? "Je me sens tout, c’est mon problème ! J’ai du mal à choisir une partie de moi. Me dire que jusqu’au torse je suis français, que mes bras sont russes et que mes pieds sont ukrainiens. Mais je suis très heureux d’être en France aujourd’hui, infiniment reconnaissant à mes parents d’avoir subi cette émigration il y a 32 ans et de nous avoir fait sortir de Russie. Parce que quand on voit ce que c’est devenu aujourd’hui, je n’aurais pas voulu y être."
L'espoir
Evgueni se mobilise, aide les Ukrainiens qui fuient à trouver un logement, "des toits temporaires pour un, deux, trois ou cinq mois", grâce à un "cercle d'amis assez large", mais aimerait aussi que les exilés russes obtiennent un statut de réfugié. "Moi-même réfugié il y a 32 ans, j’étais bien content de pouvoir venir en France, de ne pas participer à la guerre en Tchétchénie et au cauchemar qu’étaient les années 90 pour la Russie. Évidemment, il faut qu’il y ait une enquête, des vérifications, que les gens racontent leur histoire. Mais tout comme nous l'avons fait il y a 32 ans quand nous sommes arrivés." Avec un point positif, souligne-t-il, au milieu de l'horreur : "Je pense que cette guerre a donné beaucoup d’identité à l’Ukraine. Je suis heureux de voir que beaucoup d’artistes ukrainiens vont avoir des projecteurs braqués sur eux."
Pour l'avenir, le compositeur de la musique du Passé d'Asghar Farhadi espère "des années sans Poutine, sans guerre, et un nouveau monde à reconstruire. J’espère que les artistes ukrainiens, russes et français le feront main dans la main. Parce que la communication par l’art est vraiment la dernière communication qu’il reste en temps de guerre. Il faut absolument qu’elle continue, il ne faut pas qu’elle s’arrête." Evgueni Galperine se bat aussi contre certains boycotts d'artistes russes qui n'ont rien à voir avec la guerre, car les empêcher de s'exprimer, conclut-il, "est aussi une double peine" : "J’aimerais qu’on soit juste avec eux et qu’on leur donne la possibilité de prendre part à cette bataille artistique contre l’oppression. Parce que les artistes, s’ils ne parlent pas, ils n’existent pas. Leur demander de se taire, comme le font certains activistes ukrainiens, revient à leur demander de mourir."
Programmation musicale
- 08h09
Mary Poppins : A spoonful of sugar Julie AndrewsMary Poppins : A spoonful of sugarSherman
Album Bof / Mary poppins (1963)Label DUCHESSE COM
L'équipe
- Production
- Production
- Autre