Le pianiste concertiste, professeur au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, s'est exilé en Alsace début mars. Il participe à des concerts en soutien à l'Ukraine, tout en défendant la culture musicale russe. Portrait.
Il a le regard doux, un peu mélancolique. Loin de son pays, la Russie. Cela fait presque trois mois, depuis le 24 février, mais Nikita n'oubliera jamais le jour du début de la guerre. "Dans un premier temps, ce fut un grand choc. Vous ne pouvez pas imaginer. Juste avant l'annonce de la guerre, dans les médias, il y avait des rumeurs concernant une invasion, mais personne ne pouvait imaginer que ça allait vraiment se passer", témoigne le pianiste de 32 ans. "Beaucoup d’artistes et de musiciens russes ont posté des messages sur les réseaux sociaux ou se sont exprimés contre. Ma première réaction a été de m’exprimer publiquement contre cette terrible invasion."
Partir devient alors une évidence. D'autant que des enseignants du Conservatoire Tchaikovski, où Nikita enseignait l'orchestration depuis 9 ans, ont commencé à afficher leur soutien à l'invasion : "Je connais des collègues qui sont contre les gens qui quittent le pays. Ils pensent que s’ils partent, ils deviennent des 'traîtres à leur patrie'. Une expression très courante, qui rappelle le temps de l’Union soviétique."
Cela nous a pris quelques jours avec ma famille pour nous décider, trois ou quatre. Tout est arrivé si vite. Mais, très rapidement, il est devenu clair que la situation allait empirer."
Fuite en voiture avec sa femme et sa petite fille
Des vols vers l'Europe sont annulés. Nikita décide alors de fuir en voiture, le 3 mars, avec sa femme et sa fille de 2 ans. Il passe par la frontière finlandaise, puis la Suède, le Danemark, l'Allemagne. Un voyage de cinq jours avec pour terminus Wissembourg, en Alsace, où le pianiste a des amis. Le début de sa nouvelle vie. "C’est une ville très calme, au milieu de la nature. Ma fille va à l’école maternelle, et de mon côté, j’ai le temps de pratiquer. Je peux me rendre à l'école de musique, et quand la salle est libre, jouer sur un piano à queue." A-t-il fait des démarches pour rester en France ? "C’est un processus encore en cours mais comme j’ai déjà été artiste en résidence, au Festival de Musique de Wissembourg, c’est plus facile. J’ai déjà des documents qui m’autorisent à rester ici."
Nikita trouve aussi un peu de temps pour cultiver un potager, comme il le faisait à Moscou. "Cela me permet de me détendre", souffle-il. "Intérieurement, je me sens perdu. Nous ne voyons pas la fin de cette situation terrible. Je ne peux pas l'oublier, même si je vis dans un pays et dans une ville paisible. J’y pense en permanence." Le pianiste admire "le courage" des artistes restés en Russie, de ceux qui s'expriment contre la guerre malgré les risques qu'ils encourent et "des lois terribles".
"Défendre aussi la culture russe et les artistes russes à l'étranger"
Mais le fait d'être en France permet de mener un autre type de combat, estime Nikita : "L’avantage d’être ici, c’est que vous pouvez organiser des concerts, dont les bénéfices reviennent à l’Ukraine. Vous pouvez aussi vous exprimer librement contre le gouvernement. Cela permet également de défendre la culture russe et les artistes russes à l'étranger, car il est important de montrer que nous sommes nombreux à ne pas soutenir le régime et à exprimer ouvertement notre opposition." Avec une pensée pour sa mère et son père restés à Moscou. Ce dernier est toujours professeur au Conservatoire Tchaïkovski.
À 32 ans, Nikita Mndoyants est un pianiste concertiste réputé. Premier Prix du Concours international de piano de Cleveland en 2016 et du concours international de piano Paderewsky en 2007, il s'est produit à Carnegie Hall, à la salle Tchaïkovski de Moscou, au Bozar de Bruxelles, à l'Elbphilharmonie de Hambourg, à Radio France, aussi. Il a déjà joué avec des quatuors réputés : Ebène, Brentano ou encore Zemlinsky. Nikita est également un compositeur reconnu, plusieurs fois primé.
"J’espère que j'aurai la chance de participer à de beaux concerts, car cela me permet de vivre. Je suis reconnaissant d’avoir de telles opportunités en France."
Le professeur aimerait bien enseigner à nouveau la musique, malgré la barrière du langage. En attendant, le concertiste participe à des festivals, des concerts à Wissembourg. Invité à l'Opéra et à l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, ainsi qu'au Festival de Musiques Sacrées de Fribourg, cet été. Il remercie les organisations, "le Collège de France, le ministère de la Culture...", qui l’aident pour ses futurs projets, concerts et enregistrements. "Je pense que l’art peut donner un peu d’espoir. Un refuge paisible, pour l’âme, pour l’esprit. Je ne pense pas qu'il puisse sauver le monde entier, mais l’art peut aider à survivre." Jouer, malgré tout, pour rester debout.
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