Une candidate russe à La Maestra dans un contexte particulier

Fondée conjointement par l’institution parisienne et le Paris Mozart orchestra sous la direction de la cheffe Claire Gibault, La Maestra est aujourd’hui la seule compétition internationale réservée aux femmes cheffes d’orchestre. Venues du monde entier, 14 candidates entament les épreuves dans un contexte international très pesant. Aude Giger s’est rendue sur place, elle a pu rencontrer la candidate russe qui venait d’arriver.

Jouer l’hymne ukrainien en ouverture de la deuxième édition de la Maestra était une évidence pour ses organisateurs. Alors que le rayonnement international du concours prend une dimension terriblement forte depuis ces derniers jours, c’est toute l’organisation de l’événement qui a été secouée de l’intérieur, avec l’arrivée lundi sur le sol français de la candidate russe, extrêmement bouleversée. "Je ne peux pas penser à autre chose, je ne peux pas dormir normalement, je ne peux pas du tout me concentrer sur la musique. En fait je ne sais pas comment monter sur scène et diriger de la musique comme si rien n’était en train de se passer en ce moment."

Le vol de Maria Kurochkina pour Paris étant annulé, celle-ci a réussi à passer par Budapest pour fuir Moscou, en empruntant le dernier avion. Pour elle, il était inimaginable de manquer ce concours qui représente aussi une occasion d’élever la voix et de prendre fermement position, notamment concernant l’éviction de Valery Gergiev à la Philharmonie de Paris et dans les salles du monde occidental : "Je suis certaine que les artistes doivent parler à voix haute.  Nous avons une responsabilité car nous avons le pouvoir de parler. En tant qu’être humain, Valery Gergiev se trompe, il se trompe terriblement. Parce qu’il est un ami de Poutine, il soutient ce régime et il est devenu connu grâce à son talent ET grâce au soutien des autorités russes. Désormais en tant qu’être humain, il a le devoir dire à voix haute « Je ne soutiens pas ce régime », et d’agir. S’il ne le fait pas, alors il mérite tout ce qui lui arrive."

A la fin des épreuves, Maria ne retournera pas chez elle. Sa décision était prise dès son départ la semaine dernière, et elle réfléchit désormais à la façon dont elle pourra aider le peuple ukrainien. "J’ai seulement pris avec moi des partitions, des habits, des affaires personnelles... c’est suffisant pour le moment. Je vais essayer de trouver une place pour moi dans un autre pays. Certains de mes proches vivent à Paris, une partie de ma famille vit désormais en Géorgie. Je peux les rejoindre... je ne sais pas, ce n’est pas un gros problème par rapport à ce qui est en train de se passer en ce moment."

Claire Gibault a suivi de près l’arrivée de Maria, sans pouvoir l’accueillir car elle ne doit pas rencontrer les participantes avant le concours. Elle relève le tempérament de la jeune cheffe de 32 ans, qui transparaissait très nettement dans sa candidature. "Dans sa lettre de motivation, son mentor était l’opposant à Poutine. Nous nous sommes dit qu’elle avait des tripes."

Dans un tout autre contexte lié à la pandémie, la candidate vénézuelienne Glass Marcano avait pu rejoindre la première édition du concours en 2020 grâce à l’intervention de l’administration auprès de l’ambassade de France à Caracas et du quai d’Orsay. Claire Gibault souligne l’importance d’un tel engagement auprès des candidates. "Toutes les deux représentent des pays avec des formes de dictatures. Le niveau de vie au Vénézuela et l’oppression en Russie... Toutes les deux savent que ce concours peut changer leur vie, même si elles ne gagnent pas. Être dans une communauté d’artiste européenne va développer leur passion."

Glass Marcano avait remporté le prix de l’Orchestre en 2020 – la cheffe s’est fait connaître et a obtenu de nombreux engagements en France et en Europe... On suivra avec attention le parcours qui se dessinera pour Maria Kurochkina dans l’Hexagone et à l’étranger.

Le concours La Maestra se tiendra du 3 au 6 mars à la Philharmonie de Paris. Et on entendra le Paris Mozart Orchestra le 10 mars, également à la Philharmonie dans le cadre de l’académie la Maestra qui accompagne professionnellement les lauréates du concours. La lauréate de la première édition Stephanie Childress partagera la baguette avec Claire Gibault.