NFT et musique classique : révolution ou effet de mode ?

Les NFT fonctionnent grâce aux cryptomonnaies, comme le bitcoin
Les NFT fonctionnent grâce aux cryptomonnaies, comme le bitcoin ©AFP - Justin TALLIS
Les NFT fonctionnent grâce aux cryptomonnaies, comme le bitcoin ©AFP - Justin TALLIS
Les NFT fonctionnent grâce aux cryptomonnaies, comme le bitcoin ©AFP - Justin TALLIS
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Les NFT, "jetons numériques" en vogue, permettent de devenir propriétaire d'œuvres d'art en ligne. Les acteurs de la musique classique s'y mettent à leur tour. Mais que cela signifie-t-il pour les acheteurs et les artistes ? Plongée en monde crypté.

C'est un acronyme qui fait beaucoup parler en ce moment : "NFT". Non-fungible-tokens, "jetons non-fongibles", en français. Le NFT est un "jeton numérique" associé à un objet : une image, une vidéo, une œuvre d'art... Acheter ce jeton en ligne, via les cryptomonnaies comme le bitcoin, fait de vous le propriétaire de l'œuvre grâce à un certificat d'authenticité. L'an dernier, des images de l'artiste Beeple se sont ainsi vendues à presque 70 millions de dollars, sous forme de NFT, soit l'oeuvre d'art numérique la plus chère de l'histoire. Et la musique classique arrive sur le marché : il est aujourd'hui possible de devenir propriétaire de morceaux, d'interprétations. Mais que cela signifie-t-il pour les acheteurs, et les artistes ? Révolution, ou simple effet de mode ?

En tout cas, des musiciens commencent à s'y intéresser. C'est le cas de Cristina Spinei, basée à Nashville, dans le Tennessee, compositrice pour des compagnies de danse et des ballets. L'Américaine fait partie des rares artistes classiques qui se sont mis aux NFT. "J’ai été dans le business de la musique classique pendant 20 ans. Durant ce temps, les styles ont changé, la musique a changé, mais le mode de rémunération n’a pas vraiment changé", raconte-t-elle à France Musique. D’année en année, elle a été frustrée par la façon dont les compositeurs et les musiciens étaient payés : "Je me suis dit qu’il devait y avoir un meilleur moyen pour que les artistes soient payés à leur juste valeur."

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"Quand vous vendez un NFT, l'artiste est payé immédiatement"

Cristina Spinei compose donc des NFT depuis environ un an, comme cette pièce pour orchestre, intitulée Prelude.  Elle nous explique concrètement ce que cela change pour les artistes : "Quand vous vendez un NFT, l’artiste est payé immédiatement, c’est un contrat entre la personne qui achète et l’artiste. Et ce qui est si attirant dans ce système, c’est que si l'objet artistique se vend à nouveau, sur le marché secondaire, l’artiste perçoit des royalties. Cela peut aller de 10 à 20%. Vous pouvez donc percevoir des royalties toute votre vie, ce qui je pense est très important pour les artistes qui enregistrent." Une immédiateté et une pérennité de la rémunération garanties par des "contrats intelligents", générés par ce que l'on appelle la blockchain : cette super-technologie qui permet de garder la trace d'un ensemble de transactions, de manière décentralisée, sécurisée par cryptographie.

Pour le moment, il n’y a pas une audience immense, particulièrement pour la musique classique, dans l’espace des NFT. Ce sont surtout des collectionneurs. Mais je pense que plus il y aura de musiciens,  plus cela attirera de collectionneurs. Je pense vraiment que cela peut redéfinir la façon dont les musiciens sont payés, modifier la relation entre les artistes et les labels. C’est une nouvelle manière très efficace pour les artistes de contrôler leur musique" - Cristina Spinei, compositrice

Le pianiste franco-américain George Lepauw est lui aussi convaincu de la logique des NFT, qui correspond d'ailleurs à cette citation de Beethoven, dit-il : "Il devrait y avoir un grand magasin d’art, où l’artiste pourrait y apporter ses œuvres, et d’où il pourrait prendre tout ce dont il aurait besoin." Le musicien a enregistré il y a deux ans l'intégrale du Clavier bien tempéré de Bach, et va bientôt vendre le film de l'enregistrement en NFT. Il souhaite fédérer toute une communauté de musiciens autour du concept : "Je suis convaincu que d'ici 2030 toute la société sera habituée aux NFT dans tous les domaines de la vie courante. L'avenir de la musique classique dépend énormément de la capacité des musiciens à rattraper le temps perdu : les NFT permettraient de sauver les musiciens, la musique et surtout la création. Si en musique classique on ne se lance pas maintenant, en 2022, malheureusement nous prendrons encore plus de retard et nous serons encore plus dépendants de systèmes qui ne sont pas forcément de notre côté."

Les perspectives de la musique classique sont très difficiles. La jeunesse s'y intéresse de moins en moins. Si on n’avait pas les ressources de l’État, des grands mécènes, des grandes entreprises pour soutenir la musique classique, que ferait-on ? Le NFT change tout cela" - George Lepauw, pianiste

Benoît Couty, lui, a créé il y a trois ans le musée Crypto Art, qui expose une collection de NFT d'art visuel. "Et les NFT musicaux m’intéressent beaucoup. Il pourrait y avoir notamment des collaborations entre artistes visuels et musicaux autour des NFT", estime-t-il. "Les NFT permettent de faire ça très facilement, notamment pour ce qui concerne la répartition financière. Avec le 'smartcontract', on peut coder la création du NFT, définir la répartition des profits qui s’appliquera ensuite sur toute la vie de l’oeuvre d’art. Et on peut impliquer autant de personnes que l’on veut : un contrat entre deux artistes, cinq bénéficiaires, des facilitateurs intervenus pour le marketing, la vente…"

La différence avec les contrats classiques, c’est que c’est codé, ça s’exécute automatiquement sans aucune intervention humaine. Il n’y a pas besoin de quelqu’un qui récolte le paiement et le re-répartisse. On sait que dans la musique, la question du paiement effectif des droits aux artistes est un problème" - Benoît Couty, collectionneur de NFT

Au printemps dernier, le Dallas Symphony Orchestra a eu recours aux NFT pour lever des fonds, afin d'aider les musiciens de l’orchestre du Met de New-York, démunis face à la pandémie. Les labels commencent aussi à s'y intéresser. Naxos et Orfeo ont signé un partenariat avec la plateforme Kolo, lancée le mois dernier et qui permet, grâce aux NFT, d'acquérir les interprétations de grandes œuvres par le biais d'enchères.

Les limites d'un engouement ?

Mais que gagne l'acquéreur, à part l'éventualité de revendre le NFT plus cher qu'il ne l'a acheté ? "Il finance l’artiste qu'il apprécie, en achetant ses œuvres, en lui permettant de continuer à créer", explique Benoît Couty, le collectionneur de NFT. "Et quand vous êtes le premier à acheter un NFT, en général, ce n’est pas trop cher." Cependant, Stanislas Barthelemi, consultant blockchain, est encore dubitatif sur le modèle. "Derrière, on imagine qu’on va pouvoir toucher des droits d’auteur sur les diffusions et aujourd’hui, ce n’est pas ce qui est proposé dans le NFT pour la musique", souligne-t-il : "Aujourd’hui il n’y a pas encore d’élément qui lie le NFT au monde réel. Acheter le NFT de tel interprète me donne le droit d’avoir le fichier, mais après ? Il devrait y avoir des bénéfices plus tangibles, y associer des contreparties : profiter de places avantageuses lors de concerts, rencontrer l’artiste, avoir une affiche dédicacée..."

On n’a pas encore trouvé la formule idoine qui fasse sens. Il y a une euphorie, une effervescence autour des NFT, mais le modèle derrière le NFT de musique que l’on va acheter n’est pas encore figé. Si cette musique est diffusée sur YouTube ou Spotify, quel est le bénéfice retiré de se dire 'je suis propriétaire, mais je ne peux pas bénéficier des droits d’auteurs' ? Ça me semble assez limité" - Stanislas Barthelemi, consultant blockchain

Et se pose aussi la question des cryptomonnaies, ces actifs qui permettent d'acquérir les NFT. Laurence Allard, maîtresse de conférence en sciences de la communication à l'université de Lille, identifie une "technologie intéressante pour les artistes" mais s'interroge : "Les cryptomonnaies sont des actifs hyper circulants, il y a des montants, des taux de change qui sont très variables. On est quand même dépendant de ces actifs sur un secteur qui reste encore très émergent. Beaucoup d’argent a été investi dans ces cryptomonnaies, placé dans l’art et la musique, placement qui peut être éphémère si tout s’effondre."

Sans compter l'empreinte environnementale, souligne la chercheuse. Pour fonctionner à échelle mondiale, ces contrats numériques intelligents générés par la blockchain nécessitent en effet des machines, des "terminaux très énergivores". Pas forcément bénéfiques à long terme pour la planète.

Programmation musicale

  • 08h08
    Carmen : L'amour est un oiseau rebelle (Acte I) Air de Carmen et choeur
    Carmen : L'amour est un oiseau rebelle (Acte I) Air de Carmen et choeur
    GEORGES BIZET (Compositeur)
    Carmen : L'amour est un oiseau rebelle (Acte I) Air de Carmen et choeur

    , GEORGES PRETRE (Chef d'orchestre), REGINE CRESPIN, CHOEUR DE L'OPERA DU RHIN (Chœur), ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG

    Album Régine Crespin : A tribute / CD 10 (2017)
    Label WARNER CLASSICS (190295886714/10)

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