Au Concours Van Cliburn, pianistes russes et ukrainiens triomphent côte à côte

C'est l'une des compétitions de piano les plus prestigieuses au monde, qui a consacré les plus grands (notamment le regretté Radu Lupu). La 16ème édition du Concours Van Cliburn se déroule en ce moment à Fort Worth, à côté de Dallas. 30 candidats venus du monde entier étaient cette année sur la ligne de départ. Parmi eux : six Russes, deux Biélorusses et un Ukrainien, symbolique forcément particulière dans le contexte de la guerre. France Musique les a rencontrés sur place.

"Nous assistons tous à des moments terribles"

Ilya Shmukler a 27 ans. Les cheveux hirsutes, un large sourire au moment de saluer le public, dans le Bass Performance Hall de Fort Worth. "Le public est très agréable, chaleureux, ils ont l’oreille très attentive. C’est une célébration de la musique." Mais lorsqu'on évoque l'invasion russe en Ukraine, le jeune homme se ferme. Il n'en parlera pas. Sujet trop sensible, alors que sa famille vit en Russie. Anna Geniushene, une autre candidate russe, accepte-elle de se confier sur la guerre. "Nous assistons tous à des moments terribles, en Ukraine, en Russie. Et bien sûr, mon amour et mon soutien vont aux Ukrainiens, qui traversent actuellement des temps très difficiles", dit la jeune femme de 31 ans, bluffante sur Beethoven et Prokofiev en demi-finale. "Ma position est assez claire : je compatis avec toutes les victimes de cette guerre."

"J’espère que ce conflit se terminera très rapidement et si je pouvais aider de quelque façon que ce soit, je le ferais", poursuit la candidate, pour qui la préparation du concours a été éprouvante : "Je n’ai pas eu assez d’opportunités pour vraiment travailler et pratiquer ces derniers mois. Parce que nous avons déménagé en Lituanie, avec mon mari et mon petit garçon. C’est un moment assez difficile, mais en même temps, j’en profite véritablement."

Composer avec les appels au boycott

Mais la participation de candidats russes ne fait pas l'unanimité ici, au Texas. Le prêtre d'une église ukrainienne locale avait  appelé en mars à les bannir, au nom du boycott culturel. Certains l'ont d'ailleurs fait ailleurs dans le monde : le concours de violon Sibelius, en Suède, ou encore la compétition internationale de piano de Dublin. "Il est assez ridicule de bannir des artistes russes seulement car ils sont russes", estime Anna. Un non-sens également pour Jacques Marquis, président du concours. "Le pianiste texan Van Cliburn, en gagnant le concours Tchaïkovski en 1958 durant la Guerre Froide, a réuni deux peuples qui ne se parlaient pas", rappelle-t-il : "Nous avons été le premier concours à affirmer qu’il ne bannirait pas un candidat basé sur sa nationalité, au même titre que nous ne bannirions pas un candidat sur sa religion ou son ethnicité."

"Nous nous sommes dit que nous ne devions pas bannir ces jeunes musiciens, qui en outre, quand ils le peuvent, ont exprimé leur important désaccord avec la guerre. Si un candidat avait exprimé un soutien avec cette folie-là, évidemment qu'il aurait été éliminé", développe-t-il : "Aujourd’hui, nous donnons une voix à ces jeunes musiciens, qui seront les voix de demain pour réunir les peuples ensemble."

Ovations pour le candidat ukrainien

Unir par la musique : mission réussie, quand on voit les candidats russes discuter, plaisanter même avec le candidat ukrainien, Dmytro Choni. Lui aussi préfère ne pas parler de la guerre mais se focaliser sur l'accueil qui lui est réservé : "Je suis heureux à chaque fois que je joue sur la scène. J’apprécie le soutien du public, c’est un plaisir de jouer pour eux", s'enthousiasme-t-il, touché par la ferveur de l'audience et les déluges d'applaudissements. "Et je suis très heureux de ma famille d’accueil ! Ils me traitent très bien, ce sont des gens formidables qui m’encouragent et qui sont très calmes, ce qui me rend aussi plus calme..."

Car comme tous les candidats du concours, Dmytro est hébergé chez des habitants de Fort Worth : Gordon et Jean Kelly, retraités. "Nous nous sommes portés volontaires pour accueillir un candidat. Il est important de soutenir tous les artistes, particulièrement Dmytro : c’est notre rôle de l’aider, ce à quoi nous nous consacrons", indique Gordon, qui attend le candidat ukrainien après sa prestation acclamée. "Tout à fait, c'est notre seul objectif", abonde Jean. Un soutien qui a porté ses fruits : Dmytro, tout comme Anna et Ilya, les candidats russes, font partie des six qualifiés pour la grande finale, qui se tiendra dimanche et qui verra triompher un jeune pianiste de grand talent. Peu importe sa nationalité.

• Vous pouvez suivre la compétition sur la chaîne Youtube officielle du concours