"L'essentiel est de défendre notre ville" : les artistes de l'Opéra d'Odessa sur le pied de guerre

Les habitants d'Odessa se préparent à une offensive imminente de l'armée russe. Une cité portuaire d'art et de culture au sud de l'Ukraine, réputée pour son patrimoine, et sa musique : l'Opéra d'Odessa a baissé le rideau le 24 février dernier. Les artistes répétaient La Traviata de Verdi, Iolanta de Tchaïkovsky mais tout s'est arrêté. Les 660 employés ne travaillent plus et désormais, sur place, beaucoup contribuent aux préparatifs de guerre.

Maniement des armes et sacs de sable

Il a les yeux rougis, les traits tirés, comme s'il n'avait pas beaucoup dormi. Andrey Kharlamov, jeune chanteur lyrique, fait partie du choeur de l'Opéra. Mais la guerre l'a rattrapé. "Hier, j'ai suivi un stage de formation pour les jeunes combattants, qui a duré six heures. Trois heures étaient consacrées au maniement des armes et à l'entraînement, les trois autres, à nous enseigner les bases des premiers secours", nous explique-t-il. "Il est très difficile de me classer comme militaire. Mais si c'est nécessaire, alors ils m'appelleront certainement."

C'est sur l'une des plages d'Odessa que des artistes se retrouvent. Ils aident à remplir des sacs de sable, qu'ils empilent, pour prévenir un débarquement de la flotte russe. "Bien sûr, être debout sur scène est plus agréable que charger du sable avec les mains. Mais nous voyons et sentons une très grande unité", confie Julia Tereshchuk, soliste à l'Opéra. "Ma voix, comme toujours, est en forme : je ne l’entraîne pas mais je sais que lorsque nous retournerons au théâtre, une nouvelle première nous attendra et nous la jouerons dignement. Maintenant, l'essentiel est de défendre notre ville."

"Nous pouvons aider les gens avec notre art"

Vladislav Goray, lui, préfère "laisser la guerre aux professionnels", dit-il, mais contribue à l'effort : le soliste prend sa voiture pour fournir aux soldats des produits de première nécessité... en chantant : "S'il y a un besoin, une opportunité, nous pouvons aider les gens avec notre art. Par exemple, chanter dans les hôpitaux, devant des militaires, devant les gens". Son collègue Bogdan Panchenko, lui aussi soliste à l'Opéra, abonde en son sens : "Les gens travaillent dur, et bien sûr ils se fatiguent. Mais quand nous commençons à leur chanter des chansons, ou un hymne, ils se réjouissent et travaillent avec plus de dévouement et d'enthousiasme."

Il faut enfin aider ceux qui veulent partir loin de la guerre. "Il y a beaucoup de gens à la gare qui transitent par pour partir vers des endroits sûrs. Ils arrivent d’autres villes, par exemple Nikolaev. Nous aidons les femmes et les enfants qui montent à bord des trains", nous décrit le chanteur Yuriy Dudar. "Chanter n'est plus l'essentiel maintenant. Notre objectif principal, c’est de défendre notre pays, l’Ukraine, et nos enfants. Nous chanterons après la victoire", ajoute Igor Parada, pianiste.

Moment précieux, suspendu, lorsque les chanteurs de l'Opéra entonnent l'hymne ukrainien, dans le froid. Sous le grand soleil d'Odessa mais dans l'ombre, plus que jamais, d'un assaut des troupes russes.