

La compagnie "Vivre dans le feu" propose depuis un mois des petits concerts dans des cours d'immeuble, à défaut de pouvoir se produire dans les salles de spectacle. Un moment de partage privilégié avec un public confiné, qui se régale d'airs d'opéra.
Nous sommes à la lisière du 20e arrondissement de Paris. Dans une cité à côté du Boulevard Davout, au milieu d'immeubles de briques rouges. On entend les voitures, le tramway tout proche, quand tout à coup... une pianiste et deux chanteuses lyriques débarquent, vêtues de longues robes. Leurs voix, puissantes, couvrent les bruits de la ville. "Un concert sous vos fenêtres" : c'est ce que propose depuis un mois la compagnie "Vivre dans le feu", en attendant la réouverture des salles de spectacle.

Des visages curieux apparaissent aux fenêtres, certains se penchent par dessus les balcons. Le bonheur de retrouver un public pour Louise Levêque, metteur en scène : "Cela fait un an qu’on ne peut pas chanter, on ne peut pas travailler. La première fois, je suis désolée de l’avouer aussi naïvement... mais j’ai pleuré du début à la fin", témoigne la jeune femme. "Voir des visages, des corps… Comme il fait froid, voir des gens se prendre dans les bras pour se réchauffer. Des enfants penchés aux fenêtres. Voir des corps humains, ça change tout."
Ce soir ils vont écouter Monteverdi, Ravel, Berlioz, Saint-Saëns… On a choisi avec les filles les morceaux qui nous émeuvent, les morceaux qui donnent la chair de poule. On n’a pas réfléchi à une autre dramaturgie que celle de la beauté" - Louise Levêque, metteur en scène

Quelques bougies, des tapis tissés de lumières : la mise en scène est sobre et poétique. Jeannine, 84 ans, habite juste à côté, et est venue savourer le spectacle : "On devrait faire ça beaucoup plus souvent et un peu partout dans Paris ! Il n’y a plus de spectacles, de concerts, de théâtre, plus rien, donc c’est chouette. C’est notre âme qui parle un peu, ça élève notre âme. Ça fait du bien pour le mental."
Il faut s’adapter aux endroits. Ce n’est pas toujours évident parce que ça résonne plus ou moins et l’acoustique n’est jamais la même. On n’est pas forcément prévenus à l’avance, d’autant qu’on ne fait pas de répétition sur place pour ne pas retirer la surprise au public. C’est un peu aléatoire, mais c’est sympa !" - Marthe Alexandre, mezzo-soprano
On pousse la porte d'un des immeubles qui nous entoure. Au deuxième étage, on est accueillis par Oumou, qui habite ici depuis 2012. Elle est en train de cuisiner, la fenêtre grande ouverte, et se régale de ce concert impromptu : "C’est comme si on était à l’opéra. J’aime l’opéra et les musiques douces. Avec le confinement, on suit ça à la télé, mais en vrai, c’est la première fois. Ça fait plaisir parce que ça fait très longtemps qu’on ne peut pas aller aux concerts."

On est une équipe d’amies, on se connaît. On devait travailler sur un spectacle qu’on devait créer cette année, qui a été annulé. Faire du chant lyrique dans ces endroits un peu inhabituels, c’est quelque chose qui nous enthousiasme" - Maruska Le Moing, soprano
L'idée était aussi de se produire dans un quartier populaire, pour un public parfois éloigné de la musique classique. Marthe Alexandre est mezzo-soprano : "J'ai beaucoup aimé chanter ici précisément, pour un public un peu différent d'habitude, un public différent de celui de l'opéra. De voir aussi qu'en fait, tout le monde aime l'opéra."
La nuit tombe, les fenêtres se referment, on tire les rideaux. Les voitures et le tramway reprennent peu à peu leurs droits. Mais on jurerait entendre encore un peu résonner, au milieu des immeubles de brique rouge, des airs de Ravel, de Berlioz et de Saint-Saëns.


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