L’Opéra de Paris veut sortir du malaise. Après le manifeste cet été de plusieurs salariés noirs et métis pour supprimer la discrimination raciale, son directeur, Alexander Neef, attend toujours les conclusions du rapport sur la diversité au sein de l’institution. Un reportage de Marie Gicquel.
L’Opéra de Paris attend les conclusions d’un rapport au sujet de la diversité à sein de l'institution. Cette dernière traverse une crise après la parution d'un manifeste cet été, dans lequel des salariés noirs et métis exigeaient une politique anti-discrimination interne.
Pour les personnes que nous avons rencontrées, le problème ne va pas se résoudre en abandonnant certains ballets, aux images coloniales, comme l'avait laissé entendre une interview donné par le directeur de l'institution, Alexander Neef, au journal Le Monde. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, l’a rappelé hier au quotidien La Croix : « Il ne s’agit certainement pas de faire disparaître des grandes pièces du répertoire comme les ballets La Bayadère ou Casse-noisette mais de les contextualiser. »
Le problème semble résider dans la représentation de la diversité sur scène. « Les danseurs noirs ou métis sont encore très minoritaires au sein des ballets, sur 150 danseurs, il y en a moins d’une dizaine. On aimerait voir un ballet de l’Opéra de Paris avec l’excellence de l’institution, à l’image de notre société, c'est-à-dire une société multiculturelle », explique la maîtresse de conférence Emmanuelle Delattre-Destemberg.
Elle a étudié l’Histoire de la danse classique et l’admet, il y a eu très peu de modèles noirs : « Le ballet occidental est marqué par un recrutement blanc, au XIXème siècle, les danseurs noirs sont inexistants, on trouve seulement un maître à danser du nom de Médor, mais c’est une exception. Aujourd’hui, il y a plus de danseurs de diverses origines, mais ça reste une minorité, et donc ça reste l’histoire d’une minorité qui réclame le même traitement. »
L’historienne se désole que les recrutements diffèrent d’un continent à l’autre. «IL est admis et banalisé de recruter des danseurs d’origine asiatique car l’Asie s’est mise à s’européaniser après la deuxième guerre mondiale, et donc on recrute des pianistes, des danseurs, des génies, asiatiques. Et pour la population noire, l’Europe en générale - il n’y a pas que l’Opéra de Paris - n’est pas encore au même niveau de prise en compte de cette évolution sociale et culturelle dans le recrutement. »
Racisme en coulisse
Le même traitement, Marie-Astrid Mence n’en a pas bénéficié. Elle débute la danse classique à l’âge de 5 ans et les réflexions racistes ont « commencé très tôt ». Elle s’accroche, obtient de très bonnes notes, jusqu’à la fois de trop, au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris)
« Un directeur est venu nous voir danser. Je suis allée lui demander des retours pour en faire mon métier, et il m’a dit "un conseil : arrête de danser." J’ai fait une dépression par la suite. » La jeune danseuse retrouve le goût de son art en s’exilant à New-York, à la demande de la compagnie Alvin Ailey. Aujourd’hui, elle vit à Londres et pratique au sein de la compagnie Ballet Black, créée il y a vingt ans en réponse au manque de danseurs de ballet professionnels noirs et asiatiques.
Des ajustements qui relèvent du bon sens
Maquillage, coiffure, costumes, le combat pour les danseurs classiques noirs et métis est long. Preuve en est, les pointes des chaussons couleur camel ou marron sont récentes et les collants adaptés, rares aussi. « C’est important d’avoir des chaussons de danse de couleur adapté à notre peau. A la base, la danse classique est un art qui doit être plaisant, esthétique à voir, que le chausson soit de la couleur de la peau de la danseuse, il faut que ce soit joli sur scène. »
En attendant les conclusions du rapport de l’historien Pap Ndiaye et de Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits, Emmanuelle Delattre-Destemberg propose de démocratiser la danse classique, en l’inscrivant par exemple aux programmes de l’Education Nationale. A l’Opéra, on parle peu, mais on souffle que cette polémique aurait du être réglée en interne et que les seuls critères physiques de sélection restent la longueur du cou et la finesse du mollet.
L'équipe
- Production
- Autre