Vlad Troitskyi : la scène comme espace de résistance

Vlad Troitskyi a trouvé refuge au théâtre du Préau, en Normandie
Vlad Troitskyi a trouvé refuge au théâtre du Préau, en Normandie ©Radio France - Louis-Valentin Lopez
Vlad Troitskyi a trouvé refuge au théâtre du Préau, en Normandie ©Radio France - Louis-Valentin Lopez
Vlad Troitskyi a trouvé refuge au théâtre du Préau, en Normandie ©Radio France - Louis-Valentin Lopez
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Le metteur en scène ukrainien, accueilli en France après avoir quitté l'Ukraine, se sert du théâtre et de la musique pour témoigner de la guerre. Rencontre.

Il a l'oeil tantôt grave, tantôt rieur. Sweat à capuche, le cheveu grisonnant, Vlad Troitskyi remonte le temps. 1964, le début de son histoire, qui contrairement à ce que l'on pourrait croire, ne commence pas en Ukraine : "Je suis né dans une ville très étrange : Oulan-Oudé, la capitale de la Bouriatie, qui se trouve en Russie." Mère professeure d'anglais, père ingénieur, son fils lui emboîte le pas. "J'ai d'abord mené une carrière d'ingénieur. J'ai étudié à l'université polytechnique de Kiev, et plusieurs de mes articles scientifiques ont d'ailleurs été publiés dans des revues à l'étranger."

Théâtre indépendant et musique engagée

Mais lorsque l'Union soviétique s'effondre, les "sciences s'effondrent", raconte Vlad Troitskyi. Il s'oriente alors vers la finance, le "business". Et c'est sans aucune éducation artistique qu'il crée en 1994 son théâtre indépendant, à Kiev : "Dakh", le "toit", en ukrainien. Puis un groupe, en 2004, DakhaBrakha, avec une empreinte musicale singulière : "J'ai appelé ce style l'ethno-chaos", explique le metteur en scène. "Nous rassemblons différents courants de musique folklorique, et nous nous inspirons du courant minimaliste, notamment Philip Glass. Parce que la musique minimaliste se marie très bien avec notre théâtre." En 2007, Vlad Troitskyi monte le GogolFest, un festival où se rencontrent cinéma, théâtre et musique, qui réunit chaque année des milliers de spectateurs.

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Au fil de l'actu
13 min

Puis en 2012, un autre groupe, plus politisé, exclusivement féminin, les Dakh Daughters : "Les Dakh Daughters faisaient partie de mes étudiantes, ce sont des actrices du théâtre Dakh. Leur art est plus offensif. Ce qui importe, avec elles, c'est le message." Dénonciation dès 2014 de la guerre au Donbass et à présent, de l'invasion de l'Ukraine, depuis la France où Vlad Troitskyi et ses artistes ont trouvé refuge, mi-mars. Le metteur en scène a quitté sa "très belle maison", à 15 kilomètres au sud de Kiev, et est arrivé à Vire, dans le Calvados, après un long périple en voiture avec sa femme et sa fille.

Quand la guerre a commencé, nous sommes restés deux semaines en Ukraine. Nous nous sommes posé la question : 'Comment pouvons nous aider et défendre notre pays ?' Nous avons décidé, après invitations de Lucie Berelowitsch, directrice du centre dramatique national de Normandie, et Stéphane Ricordel, du Théâtre Monfort à Paris, de partir."

Reportage
3 min

"Un lien émotionnel se tisse avec les spectateurs"

L'art étant devenu une arme pour témoigner, inlassablement : "Bien sûr, vous vous informez, mais vous pouvez vous lasser, en quelque sorte", observe le metteur en scène. "Parce que tous les jours, c'est la même guerre, les mêmes terribles nouvelles. Donc, après tous nos spectacles, nous discutons avec le public. Et pendant la représentation, une sorte de lien émotionnel se tisse entre les spectateurs et nous. Après cela, ils comprennent mieux la réalité de notre histoire." Avec une "nouvelle obsession", confie-t-il : un projet de mise en scène autour du procès de Nuremberg, au cours duquel les criminels de guerre nazis furent jugés en 1945 et 1946. L'analogie se fait d'elle-même.

"Nous lisons les nouvelles qui sont parfois terribles, avec des villes détruites, nos villes bombardées, comme Marioupol. J’attends le moment où je pourrai revenir en Ukraine : c’est mon pays, ma mère patrie. Mon enfant est né en Ukraine, mon théâtre est en Ukraine."

Forcément, l'emploi du temps de Vlad Troitskyi n'est plus le même qu'à Kiev, où il répétait du matin au soir. "Il ne s'agit plus seulement de création. En parallèle, il faut communiquer. En ce moment, nous discutons avec le ministère de la Culture, le directeur de l'Institut Français, et nous avons aussi des discussions prévues avec le Goethe-Institut à Berlin. Il est nécessaire de construire le futur, de créer et produire beaucoup de nouveaux projets."

Programmé au théâtre de l'Odéon à Paris, à Montpellier ou encore au festival d'Avignon, cet été, Vlad Troitskyi se dit reconnaissant : "Je suis très heureux que les Français, les artistes et les institutions nous soutiennent. Parce qu'il s'agit du même combat, d'une lutte commune contre le monstre russe." Et son visage buriné s'éclaire quand il nous parle de ses autres centres d'intérêt : la littérature de Borges, le yoga, qu'il a découvert en Inde, le cinéma de Bertolucci, avec son film Le Conformiste, aux antipodes de la révolte artistique permanente du metteur en scène.

Journal de la Création
16 min

Programmation musicale

  • 08h10
    Médée H 491 : Noires filles du Styx (Acte III Sc 5) Air la Reine magicienne choeur
    Médée H 491 : Noires filles du Styx (Acte III Sc 5) Air la Reine magicienne choeur
    Marc Antoine Charpentier (Compositeur)
    Médée H 491 : Noires filles du Styx (Acte III Sc 5) Air la Reine magicienne choeur

    Hervé Niquet (Chef d'orchestre), Karine Deshayes (Mezzo-soprano, La Reine magicienne), Le Concert Spirituel, Thomas Corneille

    Album L'opéra des opéras (2019)
    Label ALPHA (241174)

L'équipe