Alexandre Scriabine, la marche vers l’absolu

Comme pour Rachmaninov quelques années plus tôt, un accueil assez tiède a été réservé à la 1ère Symphonie de Scriabine. Attristé, il reprend vite le dessus, déclarant : « Je leur montrerai que j’ai encore des choses à dire ! » Et en septembre 1901, il écrit à son éditeur : « J’ai travaillé tout l’été à une nouvelle symphonie. Elle est très longue et assez compliquée. Elle aura seulement cinq mouvements et non six comme la première symphonie, mais elle sera de loin la plus importante ». Et Scriabine de conclure : « J’aimerais la diriger moi-même. »

Lorsqu’il reçoit la partition achevée de cette 2ème Symphonie, Belaïev est enthousiaste, mais il déconseille au compositeur de diriger lui-même son œuvre. La création a lieu le 12 janvier 1902, à Saint-Pétersbourg, et c’est un nouvel échec pour Scriabine. Anton Arenski écrit qu’on « aurait dû l’intituler plutôt, 2ème cacaphonie ». Redonnée à Moscou le 3 avril 1903, elle provoque un tollé général. Seuls quelques irréductibles du compositeur ont compris que Scriabine est un artiste qui prône « l’art pour l’art », s’inspirant des théories mystiques du poète et philosophe Vladimir Soloviev.

L’année 1903 se révèle pourtant fructueuse pour Scriabine. Il vient de quitter son poste au Conservatoire de Moscou. Pour compenser la perte de son salaire, il demande aux Éditions Belaïev d’augmenter ses mensualités. Mais l’éditeur lui adresse un relevé désastreux d'où il ressort que le compositeur lui doit 3050 roubles, reçus à titre d’avance pour les œuvres à venir. Scriabine est alors saisi d’une véritable frénésie créatrice. Travaillant seize heures par jour, il écrit ainsi nombre de Préludes, Poèmes, Valses, Mazurkas, Etudes : 35 pièces en tout ! Et il compose en deux jours seulement, sa 4ème Sonate pour piano.

Le phénoménal cahier d’Etudes opus 42 date de 1903. Comme toutes les pièces de ce genre, le but est au départ didactique L’écriture pianistique est très touffue. Elle dépasse de loin la difficulté des Études de l’opus 8 Mais la virtuosité n’est jamais gratuite chez Scriabine. Chaque pièce évoque un climat expressif différent et suscite de réelles émotions musicales.

Vers la fin du printemps, Scriabine a loué une petite maison à Obolenskoe, près du chemin de fer qui mène à Kiev. C’est là qu’il termine sa 3ème Symphonie et les nombreuses pièces pour piano qu’il a promises à Belaïev. Le jeune Boris Pasternak, futur Prix Nobel de littérature occupe avec sa famille une maison, située dans les environs de celle des Scriabine. Il est le témoin de la composition de sa 3e Symphonie et raconte : la symphonie « était débordante de contenu, aussi fantastiquement élaborée et nouvelle que la forêt respirant la vie et la fraîcheur... » Sous-titrée « Le Divin Poème » la 3ème Symphonie exprime « l’évolution de l’esprit humain et son unité avec l’Univers », selon Alexandre Scriabine. Elle repose sur un texte écrit par Tatiana de Schloezer, qui deviendra la seconde femme du compositeur…