"Bach, musique très mathématique." C'est-à-dire ?

Le canon : une symétrie extrêmement virtuose et complexe
Le canon : une symétrie extrêmement virtuose et complexe
Le canon : une symétrie extrêmement virtuose et complexe
Le canon : une symétrie extrêmement virtuose et complexe
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L'idée de la musique de Jean-Sébastien Bach comme étant très mathématique est une idée ancienne, populaire, et tout à fait exacte. Mais au fond, n'y a-t-il pas des mathématiques dans toute musique ? Pourquoi utilisons-nous alors spécifiquement Bach comme point d'ancrage de cette idée ?

Rapide chronique de cinq minutes (pour un sujet qui demande des jours entiers d'exposés, de colloques et de communications)

"Nous sommes le 22 mai 2021 aujourd’hui : il y a 85 ans, jour pour jour, le 22 mai 1936, Maurits Cornelis Escher, plus connu en tant que M.C. Escher (l’artiste, vous savez, derrière ces dessins en noir et blanc d’escaliers impossibles qui mettent au défi notre cerveau avec cette réduction ingénieuse des trois dimensions en deux dimensions) se rend compte que les motifs des azulejos, ces décors en céramique et en faïence conçus par les Nasrides au XIVe siècle sur les murs du Palais de l’Alhambra, sont superposables à l’infini.  Et c’est pour cette raison que je voudrais vous parler aujourd’hui de musique et mathématiques. 

“Ah ! la musique de Bach ! musique très mathématique !”

Le savant n'étudie pas la nature parce que cela est utile ; il l'étudie parce qu'il y prend plaisir et il y prend plaisir parce qu'elle est belle. Si la nature n'était pas belle, elle ne vaudrait pas la peine d'être connue, la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue. (Henri Poincaré)

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Il est toujours fascinant d'écouter les scientifiques professer leur recherche de la beauté dans les nombres. Contrairement aux idées reçues, une équation n'est ni froide ni uniquement utile : l'histoire des mathématiques regorge de scientifiques qui savent y voir une recherche élégante et intéressante qui tient presque de l'artistique. Il y a un compositeur qu’on aime bien convoquer quand on parle de ça, c’est Jean-Sébastien Bach, avec cette fameuse phrase : “ah ! la musique de Bach ! musique très mathématique !” Et je voudrais donner quelques outils à nos auditeurs, si on leur demande de se justifier (“ah oui ? mathématiques ? c’est-à-dire ?”).

Le premier problème, c’est que : toute musique est mathématique

Voilà. On dit souvent que la musique c’est "le nombre rendu audible"... et c’est tout à fait exact. Je ne vous apprends rien, les nombres sont partout, et on les voit partout. Un chou romanesco, c’est : soit un chou romanesco, soit la manifestation visible de fractales. En musique c’est pareil : un accord de do majeur, c’est soit un accord de do majeur, soit la superposition de trois vibrations à 261.6, 329.6 et 392 battements par seconde. 

Évidemment, la musique n’est pas la recherche de la perfection mathématique : tout comme un mathématicien va prendre du plaisir à trouver des solutions élégantes à une équation, un compositeur va chercher des solutions intéressantes, élégantes aussi, à des problèmes d’harmonie, de mélodie et de rythme.

Chez Bach, quel serait l’équivalent de l’équation ?

Ce serait le contrepoint : la science extrêmement complexe derrière le fait de superposer deux phrases ou plus, point contre point. Comme dans une équation, ces mélodies simultanées, chacune de leur côté, se complètent dans leur comportement : une mélodie rapide contre une mélodie lente, une qui montre contre une qui descend, etc. Nous trouvons dans cette complémentarité un équilibre, comme les deux côtés d’une même équation. Je vous transporte au milieu d’une œuvre de Bach, au hasard. Tendez l’oreille, vous avez des vitesses et des hauteurs différentes, qui cohabitent, comme les facettes différentes d’une même équation.

Extrait 1 - "Es war ein wunderlicher Krieg" (Cantate BWV 4 Christ lag in Todesbanden)

Mais ça n’est pas spécifique à Jean-Sébastien Bach. Composer point contre point, mélodie contre mélodie, c’est le principe même de toute la musique médiévale et la musique de la renaissance. Par contre, ce que nous avons en plus chez Bach, c’est une attitude de recherche systématique. Prenez ses Variations Goldberg : vous avez 9 canons. Bach cherche 9 façons différentes de diviser le temps :  il divise ses pulsations soit en 2, soit en 3, soit en 4, et il divise ses mesures soit en 2, soit en 3 soit en 4 pulsations. Cela vous fait un tableau avec 9 cases. 9 solutions pour répondre à ce problème : comment faire pour qu’une mélodie puisse s’accompagner elle-même, ce qui est le principe du canon. 

C’est dans cette recherche méthodique que Bach est unique

Il existe une autre réponse à la question “pourquoi dit-on que la musique de Bach est mathématique ?” C'est aussi parce qu’on a longtemps pensé, ( peut-être à tort ?), qu’une partie de la musique de Bach était de la "musique pure”, c’est-à-dire qu’elle ne serait pas pensée pour un instrument en particulier. Et donc une musique pure, qui n’est pas incarnée, qui se ficherait de savoir si elle est chantée par Farinelli ou jouée par un violoniste virtuose de la cour, serait une musique du cosmos, une musique éternelle, aussi belle que théorique, aussi puissante sur le papier que dans nos oreilles.

Donc pour résumer : pourquoi dit-on que la musique de Bach est mathématique ? Cela ne marche que si nous comprenons que les mathématiques NE SONT PAS le contraire de l'art...

Bach fonctionne comme un mathématicien, et un mathématicien n'est pas le contraire d'un artiste. Bien au contraire. Un mathématicien cherche la beauté (et non pas la froideur ou uniquement l'utilité) dans l’équation, comme Bach cherche la beauté dans le contrepoint. Bach est un chercheur : s'il travaille sur 9 canons, il expose très méthodiquement 9 différentes façons de conduire et diviser le temps. Une recherche méthodique, omniprésente, exhaustive, qu’il met en scène dans un univers atomique, qui commence avec : le néant, puis avec un motif simple et géométrique, qui se déploie dans l’espace et le temps, et qui se met en contrepoint, comme une équation."

Sources 

Programmation musicale

  • 09h51
    Messe : Gloria - pour choeur mixte et double quintette à vent
    Messe : Gloria - pour choeur mixte et double quintette à vent
    Igor Stravinsky (Compositeur)
    Messe : Gloria - pour choeur mixte et double quintette à vent

    Philippe Herreweghe (Chef d'orchestre), Collegium Vocale De Gand (Chœur), Philharmonie Royale Flamande

    Album Philippe Herreweghe dirige des oeuvres d'Igor Stravinsky (2010)
    Label PENTA TONE CLASSICS (PTC 5186 439)

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