Tendez l'oreille ! 1913, Arthur Nikisch (1855-1922) grave avec le Philharmonisches Orchester Berlin un des premiers enregistrements de la 5e de Beethoven, et laisse dans quelques mesures du finale un indice qui pourrait nous influencer sur notre façon de maintenir ou non le tempo dans ce répertoire.
Nous sommes au début du XXe siècle, et ça se bouscule au portillon pour l’enregistrer : Albert Coates en 1920, Friedrich Kark en 1910, François Ruhlmann en 1912 et celui qui nous intéresse aujourd’hui, dirigé par Arthur Nikisch en 1913. Déjà, la qualité de son n’est pas rebutante, et puis surtout : Arthur Nikisch, le chef d’orchestre de cet enregistrement, est né en 1855 (Beethoven aurait eu 85 ans).
Après “retrouver le tempo grâce aux battements de choeur” et “retrouver le tempo grâce à la danse”, vous allez retrouver le tempo grâce aux enregistrements.
Oui ! ça paraît plus évident, mais ce n'est pourtant pas sans surprises. Les enregistrements de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle sont une source extrêmement précieuse pour effectuer ce voyage dans le temps que les musiciens font tous, parce que dans ces premiers disques vous avez des musiciens qui ont joué cette musique-là soit du vivant du compositeur soit du vivant de l’élève du compositeur. "Ce n’est pas sans surprisez" parce qu’en écoutant l’autre jour cet enregistrement de la 5e de Beethoven par Nikisch en 1913, je suis tombé sur cette curiosité de tempo. Tendez l’oreille
EXTRAIT 1 - Beethoven, 5e Symphonie (dir. Arthur Nikisch, 1913)
Il ralentit, non ? Mais oui ! Il casse complètement le tempo, et ce n'est pas indiqué sur la partition.
Cela peut paraître anecdotique mais c'est en réalité énorme. Avec cet enregistrement, nous apprenons qu’il ne faut pas attendre que la partition nous le dise pour modifier la pulsation. C’est intéressant de se dire qu’une pulsation régulière du début jusqu’à la fin d’un mouvement, comme on le fait tout plus ou moins, de nos jours, serait, si on se réfère à ce qu’on vient d’entendre, une pure fiction, une pure invention.
Faut-il alors dans la musique de Beethoven changer de pulsation en fonction du caractère ?
Déjà, est-ce propre à Nikisch ? Non. J’ai écouté les autres premiers enregistrements de la 5e de Beethoven, et ils font tous pareil. Par exemple lorsque c’est dirigé par Friedrich Kark en 1910.
EXTRAIT 2 - Beethoven, 5e Symphonie (dir. Friedrich Kark, 1910)
Et ça c’est quelque chose que nous ne faisons plus aujourd’hui ? Forcément un peu, oui, instinctivement et timidement pour faire vivre quand même un peu la musique (j'exagère). Même Jordi Savall, que nous considérons tous comme un ardent défenseur d’une pratique musicale historiquement inspirée ou informée, va jouer cette musique tout droit.
EXTRAIT 3 - Beethoven, 5e Symphonie (dir. Jordi Savall)
Ces cassures de tempo ponctuelles et non indiquées sont elles présentes à d'autres endroits de la symphonie ? Oui un peu partout, et notamment dans le dernier mouvement dirigé par Nikisch. Et c’est là où cette pratique prend tout son sens. En voici quelques mesures : quand la phrase majestueuse… a besoin d’encore plus de majesté, Arthur Nikisch n’a pas peur de le surligner encore plus en ralentissant subitement.
EXTRAIT 2 - Beethoven, 5e Symphonie (dir. Arthur Nikisch)
Finalement, ce que vous nous dites, c’est que pour jouer Beethoven, on peut jouer avec le tempo ?
Voilà, sans non plus en abuser, on peut quand même remettre en cause L’OBLIGATION de la régularité du tempo qu’on s'impose en tant que musicien, et on peut jouer (comme on le fait déjà avec les nuances) avec la pulsation.
On modifie déjà avec la régularité, je ne dis pas le contraire, mais en entendant les deux enregistrements, celui de Nikisch et celui de Kark, on se dit que nous pouvons aller encore plus loin dans les contrastes. C’est majestueux ? Alors soulignons-le. C’est pesant ? Alors ralentissons.
On critiquait souvent les interprétations de Leonard Bernstein dans les tribunes de critiques à cause de ses prises de libertés dans les tempos, mais… c’est peut-être lui qui avait raison ! Une chose est sûre : avant de jouer Beethoven, il faut se nourrir des premiers enregistrements, joués par des élèves d’élèves. Les sonates de Beethoven par Artur Schnabel dans les années 30, valent le coup d'être écoutées (au moins parce qu’il a été l’élève de quelqu’un qui a étudié auprès de Czerny et qui a été dirigé par le fils de Mozart).
Pour aller plus loin : se renseigner sur ce que propose l'association Nouvelle Athènes - Piano Romantiques à ce sujet.
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