La technique s'appelle "col legno" : il s'agit de frapper la corde avec le dos de l'archet. De nos jours, tous les bandes originales de films d'horreur utilisent cette technique... Mais le premier à l'utiliser dans un contexte d'horreur, c'est Berlioz ! Tendez l'oreille !
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Il s’agit de la technique du col legno, c’est-à-dire l’action, non pas de frotter la corde avec les crins de l’archet comme d’habitude, mais de frapper les cordes de votre violon avec le dos de l’archet : de frapper la corde avec le bois. Ca donne ce son :
Extrait 1 - Col legno
On ne l'utilise pas si souvent, mais oui, et comme c’est rare on le repère assez facilement. Vous avez ça au tout début des Planètes de Gustav Holst, la planète Mars, par exemple.
Extrait 2 - Mars (Gustav Holst)
Et on sait quand ça a débuté ?
La première c’est dans le First Part of Ayres de 1605 de Tobias Hume, mais les exemples ne manquent dans toute le répertoire de la musique ancienne. Un de mes passages préférés est celui-ci : dans le Capriccio Stravagante de Carlo Farina, musique de 1627
Extrait 3 - Capriccio Stravagante ("Qui si bate con il legno der archetto sopra le corde") de Carlo Farina
Et aujourd’hui vous nous parlez de col legno … dans un usage très particulier.
Exact ! Au XXe et au XXIe on lui donne un rôle dans … les films d’horreurs. J’ai écouté toute la semaine des kilomètres de musique de films d’horreur (et j’ai pas honte de vous dire que ça n’aide pas à dormir ou à aller aux toilettes sereinement la nuit), et toutes ont en commun le col legno. Prenez : the Shining, le film de Stanley Kubrick avec Jack Nicholson qui meurt de froid à la fin.
Extrait 4 - The Shining
Pour comprendre où Wendy Carlos a trouvé son inspiration pour The Shining, on peut regarder du côté des contemporains, comme Krzysztof Penderecki.
Extrait 5 - Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima
Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima, composé 20 ans The Shining**.**
Et savons-nous quand on a utilisé le col legno pour représenter l’horreur pour la première fois ?
Oui, et c’est plus vieux qu’on ne pourrait le penser ! Une des premières pièces symphonique à représenter le sinistre et l’angoissant date de 1830, c’est la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz, symphonie à programme, avec une histoire, sorte de réponse française à la symphonie pastorale de Beethoven composée 22 ans avant. Dans le dernier mouvement, “songe d’une nuit de sabbat” vous avez le fameux Dies Irae, comme dans The Shining d’ailleurs, vous avez des cloches d’église, et vous avez ceci :
Extrait 6 - Symphonie Fantastique
Finalement, d’une certaine façon : c’est l’ancêtre de la musique de film d’horreur. Et c’est vrai que l’effroi marche mieux quand on utilise des instruments “normaux”, les instruments de l’orchestre. Oui : ancrer l’horreur dans du normal, c’est la meilleure recette… et aussi de faire entendre de l’ancien : c’est pour ça qu’on entend assez souvent du chant grégorien dans les films d’horreurs, mais aussi UN instrument qu’on trouvait avant dans des endroits comme la Chapelle Royale de Versailles : le serpent, qu’on utilisait à l’époque de Lully. On va se quitter là-dessus, tendez l’oreille, voilà donc un instrument baroque chez Bernard Herrmann, musique du Voyage au centre de la terre , pour représenter un caméléon géant en 1959.
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