D'où vient le vibrato dans le jazz ? Ella Fitzgerald et les chanteuses d'opéra partagent-elles la même technique ? Il pourrait y avoir un ancêtre commun au XIXe siècle...
Aujourd’hui, 3e épisode de votre série sur le vibrato. Oui, je vais parler du vibrato dans le jazz, et nous allons essayer de voir ensemble : d’où vient-il ? y a-t-il un ancêtre commun au vibrato d’Ella Fitzgerald et à celui de Maria Callas ? (petite précaution dans ma chronique aujourd’hui : pour une question de temps, je vais employer le terme “jazz” au sens très très large, avec en même temps le blues, le swing, etc.).
Déjà, le vibrato dans le jazz est (était ?) d’une importance capitale...
C'est le son de la chanteuse ou de l’instrumentiste. Sherman Irby, saxophone alto au Jazz at Lincoln Center Orchestra :
Le vibrato, c’est ce qu’on ce qu’on utilise quand on chante ou quand on joue d'un instrument. Vous pouvez jouer avec l’intensité du vibrato : c’est selon votre goût. Voici par exemple Blood Count. [extrait] Et vous pouvez le jouer de différentes façons. [extrait] Vous pouvez prendre les chanteurs comme modèle pour façonner votre vibrato. Mon modèle à moi, par exemple c’est Sarah Vaughan.
Extrait 1 - Fly Me To The Moon (1963, Live at Tivoli)
C’est ce que j’ai envie de dire aujourd’hui : le vibrato dans le jazz se transmet, pas vraiment de professeur à élève, mais en écoutant les enregistrements. Par exemple, l’immense Ella Fitzgerald travaille le vibrato… en écoutant les disques de Connee Boswell, chanteuse américaine née en 1907. Les voici toutes les deux dans Stormy Weather : d’abord Ella Fitzgerald, puis son modèle Connee Boswell.
Extrait 2 - Stormy Weather (par Ella Fitzgerald puis par Connee Boswell)
En réalité, nous avons beau remonter aux premiers enregistrements du blues et du jazz, nous y entendons du vibrato depuis toujours, qui en plus utilise les mêmes procédés de technique vocale que le vibrato lyrique.
Donc finalement, classique et jazz, même combat, pour le vibrato ?
D’une certaine façon oui, parce que, que ce soit en jazz ou en classique, le vibrato existe pour la même chose : se faire entendre par dessus les instruments, et surtout pour donner à sa voix (ou à son instrument) une signature sonore, un patte.…
C'est à ce moment que je me suis dit qu’il y avait une sorte d’ancêtre commun, ou tout du moins une pratique commune… et j’ai commencé à comparer les premiers enregistrements du jazz aux premiers enregistrements du "classique", et là j’ai été soufflé ! Ecoutez ce hautbois : il a une façon de jouer les croches de façon un peu ternaire, et tente de se détacher du rythme de l’accompagnement fait par l'orchestre dans ce Lac des Cygnes en 1933.
Extrait 3 - Tchaïkovski - Lac des Cygnes (London Philharmonic Orchestra, dir. John Barbirolli)
C’est beaucoup moins rigide que ce qu’on peut faire aujourd’hui. L’exemple le plus frappant, c’est Mozart par Adelina Patti. Adelina Patti est née en 1843 (57 ans seulement après la création des Noces de Figaro de Mozart). Elle a une liberté d’interprétation en 1905, dans les ornements, dans les ports de voix, dans le décalage avec le piano .... qui regroupe toutes les caractéristiques d’une ballade ou d’un blues. Ecoutez Miss Otis Regrets par Ella Fitzgerald d’abord en guise d'exemple, et ensuite le Mozart et vous allez voir, écoutez : les petits décalages, la liberté, et surtout les ports de voix d’une note à l’autre, abordés de façon similaire d'Ella à Adelina.
Extrait 4 - Miss Otis Regrets (Ella Fitzgerald)
Extrait 5 - Mozart - "Voi che sapete", Noces de Figaro (Adelina Patti, 1905)
Donc finalement, ça ne se pose pas en jazz d’un côté et classique de l’autre. Peut-être que nous pouvons imaginer que le jazz a gardé le "swing" de la musique du XIXe siècle ... alors que l’interprétation du répertoire ancien s’est un peu rigidifiée ? Que nous avons deswingué avec le temps le répertoire ancien, alors que le jazz l’a gardé ? Ecoutez les grands pianistes du XIXe siècle, vous allez voir de quoi je parle (notamment les élèves de Liszt)
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