Tendez l'oreille ! "This Little Babe" de Benjamin Britten : une étrangeté acoustique réussie !

"This Little Babe", extrait des "Ceremony of Carols" de Benjamin Britten
"This Little Babe", extrait des "Ceremony of Carols" de Benjamin Britten
"This Little Babe", extrait des "Ceremony of Carols" de Benjamin Britten
"This Little Babe", extrait des "Ceremony of Carols" de Benjamin Britten
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Dans "A Ceremony of Carols", le procédé est pourtant simple : un canon à trois voix égales. Une entrée, puis une autre entrée identique, puis une autre entrée identique... Et pourtant, à l'oreille, le résultat semble étrange, complexe, au bord de l'électro-acoustique...

Un incontournable de Noël

Mon incontournable, c’est la Ceremony Of Carols de Benjamin Britten : onze pièces pour chœur d’enfants (maîtrise) à trois voix accompagné par une harpe. Benjamin Britten compose cette Ceremony of Carols sur le bateau entre les Etats-Unis et l’Angleterre en 1942. Il y a une pièce que j’écoute en boucle, c’est : This Little Babe. Une minute trente de musique qui met en scène le combat entre le Nouveau-né et les forces du Mal, entre l’enfant Jésus et le Diable, avec un vocabulaire sombre et une description des portes de l’Enfer. Le texte est de 1595. (J’ai choisi de vous le faire entendre par un choeur de femmes plutôt que par une maîtrise : dans cette version on entend parfaitement ce que je voudrais vous faire entendre)

Extrait 1 - This Little Babe

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Cela fonctionne comme un canon très rapide à trois voix à l’unisson, mais… on pourrait presque croire à de la musique électro-acoustique.

Je pensais que c’était un hommage que faisait Britten à la musique électro-acoustique, une sorte d’écho acoustique à la musique électro-acoustique… alors que je n’avais qu’à regarder les dates : 1942 pour la Ceremony of Carols, et il faut attendre une décennie, le début des années 50, pour que la musique concrète de Pierre Schaeffer rencontre les labos de Cologne. Mais pourtant : c’est vrai que l’écho, la réverbération, la reproduction d’une voix façon kaléidoscope psychédélique, ça fait partie des outils de la musique électro-acoustique. 

Vingt ans après Britten, en 1966, Steve Reich faisait pareil, avec son ordinateur : dans Come out, il prend un morceau de phrase prononcée par quelqu’un accusé à tort de meurtre lors des émeutes à Harlem en 64.

Extrait 2 - Come Out (Steve Reich)

Il faut partir au Moyen-Âge et à la Renaissance pour voir d’où vient Britten. 

Aux premiers temps de la polyphonie, les compositeurs étaient fous de canons (et ce n’est pas une contrepèterie). Ils prenaient une mélodie, la superposaient à elle-même deux fois plus vite ou deux fois plus lentement, ça faisait des exercices aussi complexes qu’enthousiasmants et spirituels. Là, je voudrais vous faire écouter un des passages qui dans la musique ancienne me rappellent le plus notre Little Babe de Britten. Nous sommes à la toute fin de la Renaissance, dans le “Lauda Jerusalem” tiré des Vêpres de Claudio Monteverdi. 1609, 333 ans avant Britten.

Extrait 3 - Lauda Jerusalem

L'écho pour mieux mettre le texte en scène

Quand vous n’avez pas de décor, pas de costumes, pas d’acteurs, vous êtes obligés d’injecter la mise en scène au sein de la musique, au sein de la partition, de vous débrouiller avec ce que vous avez, c’est-à-dire les chanteurs. Monteverdi est un des premiers à le faire : là, dans ce qu’on vient d’entendre, l’écho est là pour mettre en scène la fonte des glaces par le souffle de Dieu. Chez Britten, c’est pour mettre en scène l’enfant Jésus grelottant et en larmes combattant les forces du Mal.

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