Tendez l'oreille ! L'étrange cas de votre cerveau compositeur

Quand le cerveau compose un accompagnement de lui-même
Quand le cerveau compose un accompagnement de lui-même ©Getty - BSIP
Quand le cerveau compose un accompagnement de lui-même ©Getty - BSIP
Quand le cerveau compose un accompagnement de lui-même ©Getty - BSIP
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Petite expérience de cinq minutes dans la chronique d'aujourd'hui : nous vous faisons écouter un motif de trois notes. Il est POSSIBLE que votre cerveau construise de lui-même tout un accompagnement. Vérifions, puis écoutons du Bach !

  • Extrait 1 - Extrait de la bande originale de A Beautiful Mind (James Horner)

Vous avez allez faire une expérience aujourd’hui. 

Oui ! Je ne vais rien vous apprendre, je voudrais surtout vérifier quelque chose. L’idée m’est venue en revoyant l’adaptation des Quatre filles du Docteur March de 1994, d’après le roman de Louisa May Alcott qui présente quatre visions très contrastantes du passage à l’âge adulte. Je n’ai pas pu profiter du film puisque j’avais les oreilles rivées sur la musique : celle de Thomas Newman. 

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A chaque fois que je revois ce film, je suis happé dès les premières mesures par cette introduction aussi simple que magnifique : une tenue de cordes, puis trois notes de cor anglais. En quelques secondes, nous sommes très doucement introduits dans le quotidien feutré de la famille March, dans cette maison jouxtant un verger, dans le Massachusetts. 

Ce qui m’intéresse dans ces trois notes...

... ce n'est pas que l’on entend, mais ce que l’on n’entend pas. Sous ces trois notes de cor anglais, le cerveau reconstitue des accords, un accompagnement, un chemin harmonique, et je me suis demandé : est-ce que tout le monde entend les mêmes accords ? Est-ce que tout le monde va compléter la musique de la même façon de la même façon que moi ? 

Voici l’extrait en question. Tendez l’oreille, et voyez si vous percevez des accords sous ce motif extrêmement simple.

  • Extrait 2 - "Orchard House", thème principal de Little Women ("Les Quatre Filles du Docteur March", Thomas Newman)

Je vais vous faire quelques propositions, nous verrons laquelle correspond le mieux à ce que vous entendez sous ces notes. Si nous prend uniquement les trois notes jouées par le cor anglais, un accord se construit automatique : votre cerveau peut reconstituer cet accord de mi mineur comme un accord unique d'accompagnement.

  • Extrait 3 - Proposition A

Ça pourrait être la solution la plus logique : ne travailler qu’avec les notes jouées… mais quand j’ai fait l’expérience avec mon entourage, personne n’a vraiment opté pour celle-ci. Nous allons tenter maintenant la proposition que j’entends personnellement, et qui par coïncidence semble être celle que tout le monde entend.

  • Extrait 4 - Proposition B

Nous allons à présent entendre ce que Thomas Newman lui-même a imaginé comme accompagnement.

  • Extrait 5 - "Orchard House", thème principal de Little Women ("Les Quatre Filles du Docteur March", Thomas Newman)

C’est plus ou moins ce que nous avions imaginé ! 

Pourquoi alors entendons-nous tous le même accompagnement ? Sommes-nous tous compositeurs ? 

Bonne question ! Pour moi, la réponse est dans l’acoustique. Lorsque vous entendez un sol tenu par les cordes, le cerveau perçoit déjà dans le spectre l’accord de sol majeur, et pour aller à do majeur, depuis le sol majeur, il n’y a qu’un pas, surtout avec le sol qui est obligé d’être commun aux deux accords. 

Il y a une autre réponse qui est plus culturelle. Nous sommes bercés depuis l'enfance par cet enchaînement d’accords : Ie Ier degré vers le IVe degré. Vous avez cela dansla mélodie traditionnelle Amazing Grace par exemple.

  • Extrait 6 - Amazing Grace

C’est une façon pour Thomas Newman de simuler dans sa musique de film un aspect de musique historique, comme pour hisser cette histoire d’apprentissage des filles March au rang de mythe. 

Je voudrais terminer avec Jean-Sébastien Bach...

... le champion de la musique pour instrument seul. Vous allez voir comment il arrive à suggérer avec une flûte seule tout un chemin d’accord en accord. Je vous les joue une première fois au piano en même temps que la flûte, et puis, à la reprise, je vais laisser votre cerveau tout seul, sans piano, compléter l’harmonie.

  • Extrait 7 - Partita pour flûte seule en la mineur (Jean-Sébastien Bach)

Eh voilà ! Les compositeurs savent que nos cerveaux complètent les partitions et comptent même là-dessus pour pouvoir dire beaucoup avec peu de notes.

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