L'enregistrement a été fait dans l'appartement de Dick Meldonian à New York en 1954 et nous donne à entendre les coulisses de la technique hors du commun de Charlie Parker.
Nous parlons de jazz par ... la petite porte aujourd'hui. Dans le jazz comme dans les autres styles de musique, ce qui est bigrement intéressant, en plus du concert, c’est d’entendre la préparation, les coulisses, les répétitions.
Il y a quelque chose qui nous renseigne beaucoup sur l’artiste : c’est de l’entendre travailler son instrument. Là, je vais vous faire écouter un document unique, extrêmement rare : Charlie Parker, un des inventeurs du bebop (ce style au débit extrêmement rapide et virtuose sur des gammes plutôt complexes), en train de travailler son saxophone. Nous sommes à la fin de sa vie, fin 1954, début 1955, dans l’appartement de Dick Meldonian à New York. On va l’écouter en entier, ça dure 1’42, et puis on va voir ce qu’on va en tirer.
SON 1 - Charlie Parker chauffe
Charlie Parker en plein travail. Nous n'allons pas tout décrypter, mais nous avons quand même un aperçu de sa méthode de travail. Il commence avec ce qu’on fait tous quand on prend l’instrument pour chauffer : il joue des choses qu’il connaît bien, des traits qu’il a sous les doigts qu’il enchaîne avec énormément de facilité, et certains reconnaîtront d’ailleurs un passage de Blues for Alice.
SON 2 - traits et comparaison avec Blues for Alice
Et puis, tout à coup, on l’entend jouer quelque chose qui ne sonne pas du tout bebop.
SON 3 - Hyacinthe Klosé par Charlie Parker
C’est vrai qu’on dirait un exercice classique. Vous ne croyez pas si bien dire, j’ai fait mes petites recherches, et je suis tombé sur la 23e étude pour saxophone de Hyacinthe Klosé. Pour la petite histoire, Hyacinthe Klosé était professeur de clarinette à Versailles puis au conservatoire de Paris au XIXe siècle, clarinette solo de l’orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, professeur de Charles Frédéric Selmer et ami de Louis Auguste Buffet. Son étude n°23 :
SON 4 - l'étude n°23 de Hyacinthe Klosé
Je vais vous repasser le Klose par Charlie Parker, et écoutez bien ce qu’il fait : il met des accents à contretemps, il décale les appuis de cet exercice classique, puis le joue plus vite et là on comprend tout : sa virtuosité dans le bebop a une assise profonde dans le travail rigoureux et discipliné de l’instrument. Il transforme l’exercice d’un professeur du conservatoire de Paris au XIXe siècle en phrase bebop.
SON 5 - Klosé ... en bebop
J’ai toujours pensé que la musique devait être très propre, très précise - aussi propre que possible dans tous les cas, pour le public, pour leur donner à entendre quelque chose qu’ils puissent comprendre, quelque chose de beau. J’ai beaucoup étudié le saxophone, c’est vrai. En réalité, les voisins ont menacé de demander à ma mère de déménager. Elle m’a dit que je les rendais fous avec le saxophone. Je travaillais au moins onze à quinze heures par jours. (Charlie Parker)
Peut-être que je me trompe. Peut-être que je n’avais pas besoin de déblayer ce cliché qui n’existe peut-être pas, mais au cas où, je le dis : les instrumentistes de jazz bossent énormément. Nous connaissons peut-être un peu mieux la discipline de travail des instrumentistes classiques, mais celle des jazzmen et jazzwomen est tout aussi exigeante, elle n’est pas du tout déconnectée de la discipline classique, et ça ne fait pas de mal, de temps en temps, jazz ou pas, de se rappeler que les dieux des instruments sont aussi des humains qui travaillent sans relâche.
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