Nous allumons la radio. Une envolée allègre de cordes et de clavecin et c'est inévitable : nous SAVONS qu'il s'agit de Vivaldi. Petite plongée dans une texture reconnaissable entre toutes.
Question directe et simple dans la chronique d'aujourd'hui : pourquoi, lorsque nous allumons la radio et que nous tombons sur du Vivaldi, savons-nous instantanément qu’il s’agit de Vivaldi ?
Voyons comment cette musique est construite. Déjà, nous allons réduire un peu le champ : avec plus de 500 concertos composés, nous risquons effectivement un peu plus de tomber sur un concerto plutôt que sur un de ses cinquante opéras ou une de ses cinquante oeuvres religieuses. Parlons donc des concertos.
Commençons par l'instrumentation : nous sommes très souvent avec un orchestre à cordes, accompagné par un clavecin. Rien de bien neuf ni de bien original pour l’époque, fin XVIIe début XVIIIe siècle, me direz-vous. C’est ce son-là.
Extrait 1 - Concerto pour deux violons, en la mineur, RV 522.
Une texture homogène
Allons maintenant un peu plus loin. Attention ! Nous parlons de 500 concertos différents donc vous me pardonnerez pour les grossières généralisations : disons que chez Vivaldi, la texture est peut-être un plus homophonique que contrapuntique : c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir plusieurs voix qui se répondent, qui s’entrelacent et qui se complètent, l’orchestre expose de façon rythmique et verticale les accords. Avec un matériau si homogène, la mélodie semble renoncer à son indépendance, pour former… disons… un glaçage par-dessus les accords. Tendez l’oreille !
Extrait 2 - Concerto pour violon, en si mineur, RV 390.
Ecoutons maintenant le concerto d’un contemporain d'Antonio Vivaldi, composé dans les mêmes années que ce que je vous ai fait entendre. C’est un concerto de Pietro Locatelli. Ecoutez comment, à la différence du concerto de Vivaldi que nous venons d’entendre, toutes les voix se répondent entre elles, entre la basse et le dessus, et dans les voix intermédiaires : là, la musique est plus horizontale et contrapuntique.
Extrait 3 - Pietro Locatelli, Concerto grosso, en mi mineur, op. 1 n°4.
C'est en écoutant cette musique de Locatelli que nous comprenons, par contraste, le petit moteur caractéristique des concertos de Vivaldi (certains de ses concertos, disons).
Il y a chez Vivaldi quelque chose de reconnaissable dans les enchaînements d'accords
Là, encore : Vivaldi n’est pas le seul à l’utiliser, mais il y a un enchaînement d’accords qu’il utilise tellement que cela en devient sa signature : il remonte le cycle des quintes. Vivaldi part de son tout dernier accord, son accord d’arrivée. Il place juste avant un accord de tension, et, juste avant cet accord de tension, il en met un autre qui le met lui-même en tension, et juste avant cet accord de tension, il en met un autre qui le met lui même en tension, et juste avant celui-ci, il met un accord de tension, etc. Ecoutez cet enchaînement dans une sonate en trio de J.-S. Bach. Vivaldi utilise extrêmement souvent cette progression d'accord en accord dans ses concertos.
Extrait 4 - Jean-Sébastien Bach, Sonate en trio en do mineur, BWV 526.
En somme…
Vivaldi n’est pas un pionnier dans telle ou telle texture mais il réunit régulièrement en même temps tous les paramètres que nous venons d’aborder (une texture homophonique plutôt qu’en voix séparées et le cercle des quintes, entre autres bien sûr). Nous reconnaissons Vivaldi aux premières secondes grâce à ça.
Mais c’est aussi parce que c’est une des facettes de Vivaldi qu’on nous montre le plus souvent : il existe en réalité beaucoup de concertos qui n'ont pas une texture homophone chez Vivaldi, ou qui n'utilisent pas systématiquement le cycle des quintes.
La question n'est pas là : nous reconnaissons aussitôt Vivaldi … parce que sont diffusés les concertos qui sont la caricature de ce qui est aimé chez Vivaldi : du joyeux dans le 1er mouvement allegro, du poignant dans le 2e mouvement adagio, et du virtuose dans le 3e mouvement allegro. Stravinsky disait “Vivaldi a composé 500 fois le même concertos” Eh bien non ! Deux musicologues, Simon McVeigh et Jehoash Hirshberg, ont épluché informatiquement tout le corpus : il n’y a pas deux concertos qui reproduisent exactement le même motif, la même phrase, ou le même enchaînement d’accords.
Et puisque je tiens à redire que la musique de Vivaldi est quand même plus riche qu’un simple assemblage de paramètres réducteurs, voici le contrapuntique et harmoniquement riche "Et In Terra Pax" de son Gloria.
Extrait 5 - Et In Terra Pax, Gloria, RV 589.
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