Tendez l'oreille ! Retrouver la musique gauloise à partir d'un instrument

Carnyx (trompe gauloise) dans un détail de "Vercingétorix devant César" (Lionel Royer, 1899)
Carnyx (trompe gauloise) dans un détail de "Vercingétorix devant César" (Lionel Royer, 1899)
Carnyx (trompe gauloise) dans un détail de "Vercingétorix devant César" (Lionel Royer, 1899)
Carnyx (trompe gauloise) dans un détail de "Vercingétorix devant César" (Lionel Royer, 1899)
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[ARCHEOLOGIE] Lorsqu'il n'existe pas de partitions, la solution pour retrouver le son de l'Antiquité est d'en reconstituer les instruments. Certes découvert en 1816 à Deskford, le carnyx, trompe à tête de sanglier, ne livrera son premier son qu'en 1993, après un sommeil de 2000 ans...

(cette chronique est avant tout à écouter !)

L'Antiquité silencieuse...

... mais redevable à l'archéologie musicale

Ce qu’il y a de fascinant avec l’Antiquité…  c’est qu’elle fait beaucoup de bruit : le fracas des armes, la turbulence des dieux grecs et romains, les rires et les pleurs dans les théâtres, les clameurs politiques dans les forums, le bruits des sabots des courses de chars. Mais tout ce son a disparu depuis longtemps. 

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Sauf que, depuis quelques décennies, il y a une discipline qui s’occupe de retrouver les sonorités du monde antique : l’archéologie musicale. Il s'agit, pour faire simple, d'une discipline qui part du principe que, lorsque la musique n’existe plus, il reste encore des recherches à faire. En l’absence de partitions, les historiens s’intéressent aux instruments, à travers les rares fragments trouvés lors de fouilles, mais surtout grâce aux représentations, grâce à ce qu’on appelle l’iconographie : sur les vases, les bas-reliefs, les pièces de monnaie, etc. 

Et depuis des siècles, en plus des habituelles lyres et harpes antiques, nous remarquons un étrange instrument apparaître ça et là dans les représentations de conflits gallo-romains.

Joueurs de carnyx sur le flanc du chaudron de Gundestrup (Danemark)
Joueurs de carnyx sur le flanc du chaudron de Gundestrup (Danemark)
Représentation quasi exacte du carnyx de Deskford dans "Astérix - le Combat des Chefs"
Représentation quasi exacte du carnyx de Deskford dans "Astérix - le Combat des Chefs"

L'archéologie du carnyx

“De nombreux reliefs romains qui commémorent des victoires sur les Gaulois nous montrent des trompettes gauloises du type carnyx. On en voit, par exemple, sur l’arc romain d’Orange. Elles se composent, comme les trompettes romaines du type tuba d’un long tube droit. Mais, alors que la tuba se termine par un pavillon évasé ayant le même axe que le tube, le carnyx se termine par un pavillon recourbé ayant la forme d’une tête d’animal avec yeux, oreilles et crinières.”          
Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, en 1948. 

Cet animal, a été identifié depuis : il s’agit d’un sanglier. Eustathe de Thessalonique parle de ce carnyx au XIIe siècle, mais aussi dans les textes de Diodore de Sicile, Hésychius d’Alexandrie et Plutarque voyons-nous apparaître cette longue trompe verticale terminée par un pavillon à tête de sanglier. 

Et puis tout à coup… 

Et puis tout à coup oui : l’instrument sort de l’Antiquité. Tout à coup, il quitte les représentations pour devenir réel : en 1816 à Deskford en Ecosse, une tête de carnyx est retrouvée intacte dans une tourbière, et elle est identique aux pièces de monnaies, aux bas-reliefs et aux descriptions dans les textes anciens. 

Aquarelle représentant les pièces du carnyx de Deskford, cinquante ans après sa découverte en 1816
Aquarelle représentant les pièces du carnyx de Deskford, cinquante ans après sa découverte en 1816
- National Museums of Scotland

La tête de ce carnyx a encore sa mâchoire amovible, sa langue en bois et son palais extrêmement sophistiqué. Belle pièce de musée, donc… jusqu’en 1992, lorsqu’une équipe décide de confier à un orfèvre le soin de copier l’instrument et de compléter ce qui manque (le tube qui mène à la tête), à partir de ce qui est visible sur les pièces de monnaie dans l’idée de pouvoir le jouer et de tirer l’instrument de son sommeil de deux millénaires. 

Mais, comme dans toute reconstitution, rien n’est certain...

... sauf qu'il s’est passé quelque chose en 2004 à Tintignac en Corrèze. 500 fragments métalliques ont été déterrés… dont des carnyx complets qu’il suffisait d’assembler. Ce qui est extraordinaire, c’est que ces carnyx, sur lesquelles il y avait encore l’embouchure, ont confirmé la véracité de la reconstitution du carnyx de Deskford. Très vite, ces carnyx ont pu être scannés, mesurés, et reconstruits. Je peux vous faire écouter maintenant de l’authentique musique gauloise.

EXTRAIT A ECOUTER DANS LA CHRONIQUE !

Carnyx de Deskford
Carnyx de Deskford
Carnyx de Tintignac
Carnyx de Tintignac

Ces notes sont improvisées, mais n’en restent pas moins authentiquement gauloises car taillées sur mesure pour cet instrument authentiquement gaulois : nous pouvons alors tout à fait imaginer que ce sont ces improvisations qui ont semé la terreur dans le rang des soldats romains. 

Aujourd’hui, cet instrument a été complètement adopté par les musiciens : il a 5 octaves, il peut jouer très piano comme jouer très fort, il est joué en concert, il a aujourd’hui une nouvelle vie, grâce aux travaux du musicien John Kenny, de l’orfèvre John Creed, l’archéologue Fraser Hunter, et côté France : Jean Boisserie, Christophe Maniquet et Christophe Vendries.

Pour aller plus loin 

Conférence de Christophe Vendries : "Musiques et langues au temps d'Astérix" (avec participation de Christophe Maniquet, 'inventeur' des carnyx de Tintignac)

Propriétés acoustiques et musicales du carnyx de Deskford (Murray Campbell, John Kenny)

La trompe, le gaulois et le sanglier (Christophe Vendries)

"Le son retrouvé d'une trompe gauloise" (Le Monde, Arthur de Pas, 22 novembre 2012)

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