« Pour les Talibans, la place de la musique et des musiciens, c’était la tombe » Daud Khan Sadozai

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« Pour les Talibans, la place de la musique et des musiciens, c’était la tombe » Daud Khan Sadozai

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Le musicien afghan Daud Khan Sadozai raconte à France Musique la répression des Talibans et leur interdiction de toute musique.
Le musicien afghan Daud Khan Sadozai raconte à France Musique la répression des Talibans et leur interdiction de toute musique.
- Avec l'aimable autorisation de Daud Khan Sadozai

Le musicien afghan Daud Khan Sadozai raconte à France Musique la répression des Talibans et leur interdiction de toute musique. Il nous fait part de ses inquiétudes pour les musiciens restés sur place.

Daud Khan Sadozai est originaire de Kaboul, il vit aujourd’hui en Allemagne où il enseigne son instrument. Il a quitté l’Afghanistan au temps de la première arrivée au pouvoir des Talibans en 1996. C’est donc par l’intermédiaire de ses amis et de ses proches, restés dans le pays, qu’il vit aujourd’hui la situation politique. Il joue du Rubab, cet instrument traditionnel à cordes pincées composé d’une caisse en bois de mûrier recouverte de peau, au timbre chaud et profond. Grâce à la musique, il a pu voyager et se produire en concert avec des musiciens comme Jordi Savall ou encore la chanteuse Mahwash.

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Daud Khan Sadozai : Je suis bien sûr très affecté par la situation de mon pays. Pour l'instant ils sont très inquiets mais sont sains et saufs. Nous ne savons pas ce qu'il en sera une fois que les troupes étrangères auront quitté le pays et que la communauté internationale ne s’intéressera plus à la situation mais le pire est à craindre. On entend déjà que les Talibans cherchent à connaître les adresses des artistes pour « s'occuper d'eux une fois les forces internationales parties ».

Que pensez-vous du discours des Talibans qui expliquent avoir changé depuis leur précédent gouvernement ?

Nous verrons, il est trop tôt pour le croire. Les paroles ont peu d'importance face aux actes. Car, malgré ce discours, combien d'innocents ont été massacrés récemment à l'aéroport de Kaboul, dans les manifestations ou dans les villages ? Ils ne connaissent que la guerre, ne savent pas comment gérer le pays et sont guidés par une interprétation de la religion totalement aberrante qu'ils cherchent à imposer à tout le pays.

Aujourd’hui, on voit que des musiciens reconnus cherchent à vendre leurs instruments pour se protéger et affronter la situation économique qui les attend.

Quelle place pour la musique dans un pays dirigé par les Talibans ?

Lors du précédent régime taliban, la place de la musique et des musiciens, c'était la tombe. Ils ont détruit systématiquement les instruments, les cassettes et les télévisions, tout ce qui pouvait servir de support à la musique n’autorisant que les chansons de propagandes ou religieuses. Ils arrêtaient les voitures et ceux qui étaient pris en train d’écouter de la musique ou en possession de cassettes étaient sévèrement punis. Les archives sonores de la radio, qui sont la mémoire musicale du pays, ont été sauvées in extremis par un employé rusé. 

Dans ces conditions beaucoup d’artistes sont partis au Pakistan ou en Iran. Certains d’entre eux étaient rentrés après la chute des Talibans et on assistait à une renaissance de la vie musicale. Aujourd’hui, on voit que des musiciens reconnus cherchent à vendre leurs instruments pour se protéger et affronter la situation économique qui les attend. 

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Pensez-vous qu’il soit possible aux artistes de rester dans le pays ?

Il n'y a pas de vie sous ce régime. Les gens veulent la sécurité, ils n'en peuvent plus de cette guerre interminable, de ces attentats et de ce risque permanent, c'est un fait. Mais en vérité, sous le régime taliban, personne n'est en sécurité : artistes, journalistes, commerçants... Si l'organisation fera peut-être certaines concessions pour être acceptée par la communauté internationale, comme de permettre aux filles d’aller à l'école jusqu'à un certain âge, je ne crois pas que les Talibans se montreront plus tolérants envers la musique. Ils ont déjà interdit la musique à la radio dans de nombreuses provinces. Si un artiste ne peut travailler avec son art dans son propre pays, comment peut-il y rester ?

Défendre cet héritage musical, c'est non seulement important pour le regard que porte le monde sur l'Afghanistan mais ça l’est plus encore pour les nouvelles générations qui sont nées à l'étranger ou dans un pays en guerre.

En tant que musicien, que pensez-vous pouvoir apporter dans cette situation ?

Cela fait plus de 45 ans que je m'efforce de montrer un autre aspect de l'Afghanistan à travers ma musique.  Celui qui ne connaît pas l'Afghanistan pourrait croire que le pays n'a jamais connu que la guerre, les trafics de drogue, cet état malheureux dans lequel il se trouve. Mais ces mélodies entraînantes, ces chansons d'amour et ces poèmes mystiques, toute cette musique dont nous avons hérité nous vient de temps meilleurs où la vie était simple mais heureuse. Défendre cet héritage, c'est non seulement important pour le regard que porte le monde sur l'Afghanistan mais ça l’est plus encore pour les nouvelles générations qui sont nées à l'étranger ou dans un pays en guerre.

Le rubab, mon instrument, c'est le son de l'Amour (Eshq), de l'Amitié. Lorsque je donne les stages nous sommes assis ensemble avec mes disciples toute la journée, nous rions, nous mangeons ensemble autour de cet instrument. C'est une amitié qui ne connaît pas de frontière. Dans la mystique soufie, il est dit que celui qui a l'Amour atteindra la Vérité. La musique nous y conduit.

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